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CHAPITRE II

RÊVES D’AMOUR ET MARIAGE DE RAISON

Je fis mon entrée dans le monde à dix-sept ans. Il était bien restreint ce monde, car il y avait des Japy et des ramifications de Japy partout où nous allions. Or, la famille, ce n’est pas le « monde ». Ce n’était guère qu’à Belfort que je rencontrais des gens que je ne connaissais pas. Toutefois, quand je faisais de nouvelles connaissances, c’était très rapidement et très passagèrement, car mes parents gardaient leur « Puppele » bien jalousement.

Ma mère, toutefois, trouva qu’il n’était pas juste de condamner notre porte, comme mon père semblait vouloir le faire, à tout homme âgé de moins de quarante ans, et il y eut plus de réceptions que jamais au « Château-Edouard ».

A nos soirées, je chantais et jouais avec... mon père. Je commençais cependant à voir un nouveau sens dans nos duos d’amour ; j’étais un peu grisée, mon imagination vagabondait ; je chantais avec plus d’expression qu’autrefois. On venait constamment demander ma main. Mon père me consultait, bien qu’absolument décidé à n’en faire qu’à sa guise. Je disais toujours : « Non », et il s’écriait : « Ah ! comme tu as raison ! C’est extraordinaire ce qu’elle est raisonnable, cette petite... Quand tu auras vingt ans, nous causerons mariage. »

L’année suivante, il me dit les mêmes choses, avec une variante : « Quand tu auras vingt et un ans ! » Et je lui tirai le coin de l’oreille, comme Napoléon à ses grognards.