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12 MES MÉMOIRES

Si le juge d’instruction chargé de mon affaire avait connu ce détail, il aurait sans aucun doute conclu que, puisque, enfant, j’étais capable de vaincre, à coups de boule de neige, mes compagnons de jeux, il devenait évident que, femme, j’avais dû avoir assez de force pour commettre le double crime dont il m’accu§ait !

Le dimanche, on allait au temple de Beaucourt. On est très protestant dans le pays de Montbéliard.

Mon premier pasteur fut M. Guvier, un descendant du grand naturaliste, mort en 1832. Il était très beau et très imposant, le pasteur Cuvier, avec sa grande crinière blanche et ses yeux qui brillaient sous des sourcils épais. Il venait souvent au Château-Edouard et, pour le taquiner, mon père huguenot convaincu, mais large d’idées et spirituel, le faisait asseoir à table à côté du curé de Beaucourt. Au début du dîner, les deux vieillards osaient à peine se regarder et ne mangeaient que du bout des lèvres. Ma mère était doucement effarée et mon père souriait... Un jour, M. Cuvier dit : « Ne parlons pas de religion », et le curé ajouta : « Ni de politique. » — « Vous avez tous deux raison, » dit mon père, et, incontinent, il se mit à faire l’éloge des théories de Darwin et à expliquer à ses deux hôtes la loi de la Sélection naturelle et comme quoi chaque espèce ne fut pas créée séparément.

Mais tout finissait bien à ces petites réunions, grâce à l’entrain de mon père, à la grâce souriante de ma mère et aux vins excellents de nos caves.

Le vieux pasteur était très bon pour moi et me recevait souvent chez lui. Sur les rayons de sa bibliothèque s’alignaient les œuvres de son ancêtre illustre et il avait une foule d’anecdotes à me raconter sur son compte. Il me fit promettre, un jour, de lire, quand je serais « grande », le Tableau élémentaire de l’Histoire naturelle des Animaux, et le Règne Animal distribué d’après son Organisation. (Il écrivit ces titres sur un chiffon de papier que je possède encore !) Je promis, bien entendu, mais