Page:Steinheil - Mes Memoires, 1912.djvu/14

Cette page n’a pas encore été corrigée

10 MES MÉMOIRES

d’équitation, un professeur de violon, un professeur de piano, en dehors des gouvernantes qui m’apprirent « les autres choses », mais c’est avec mon père et par lui que j’ai appris le peu que je sais... Ah ! l’heureuse existence. Dans mon cœur chantait ces mots que mon père murmurait si souvent à mon oreille : « Je t’aime chaque jour plus qu’hier et moins que demain. »

Je considérais mon père comme une sorte de divinité, merveilleusement bienfaisante. Parfois j’entendais dire qu’il n’était pas pratique, mais je plaignais ceux qui le critiquaient. S’il détestait compter, c’était bien son affaire après tout ! En attendant la catastrophe finale qu’on lui prédisait, il continuait à être gai, à être bon et généreux. On appelait notre maison la Maison du Bon Dieu. Tout le monde y était le bienvenu, et mon père qui était un gourmet et avait un excellent chef, régalait ses amis de festins dignes de Lucullus et leur versait les meilleurs vins de sa cave, imposant toutefois une condition — toujours la même — à ses convives : c’est qu’ils écouteraient le concert au salon, après le repas.

Cher père ! Lui aussi, on devait le diffamer durant mon procès. Un membre de sa propre famille déclara qu’il était « brutal et alcoolique ». Et quand je me révoltai contre une calomnie aussi abominable, mon avocat essaya de me calmer : « Ne faites pas attention, murmura-t-il, il paraît que cela a été dit afin de vous sauver ! Fille d’alcoolique, vous pouviez être considéré jusqu’à un certain point comme irresponsable... Il s’agissait de tactique, pas d’une insulte ! »

J’avais deux sœurs : Juliette, l’aînée, qui épousa, alors que je n’étais encore qu’une fillette, un ingénieur de l’Etat, établi alors à Bayonne, où, plus tard, je devais rencontrer M. Steinheil ; et Mimi, de quatre années plus jeune que moi, et qui était la favorite de ma mère, comme moi j’étais celle de mon père. J’avais un frère, Julien, qui s’engagea à Belfort dans un régiment de ligne et y devint le