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MES MÉMOIRES 9

dations : « Puisque vous lui racontez l’Odyssée, faites-lui suivre les voyages d’Ulysse sur une carte. » Ou bien : « Je vois que vous lisez l’Iliade, parlez-lui d’Andromaque, d’Hector, d’Achille, mais n’insistez pas, je vous en prie, sur Nestor ; c’était un personnage fort ennuyeux... »

Mon père se mit à m’enseigner le violon quand j’avais quatre ans, et l’orgue et le piano, un an après. Il avait des idées à lui sur l’éducation des filles, mais il ne les appliquait qu’à moi. Toute petite, il m’apprit à saluer, à m’asseoir, à faire des bouquets, à reconnaître et à apprécier les choses belles et les choses anciennes et rares : vieux meubles, vieilles tapisseries, vieilles porcelaines, vieux étains. Il me faisait voir les marques sur l’argenterie, caresser des camées et des émaux, effleurer des broderies et de vieilles dentelles... Il me faisait monter et descendre l’escalier dix, vingt fois de suite : « Vois-tu, mon trésor, n’importe qui peut descendre un escalier sans être ridicule... Mais monter, c’est une autre affaire ! Allons ! Descends... C’est cela. Lève la tête. Va lentement... comme une reine dans les vieux contes. Aie l’air de descendre du ciel, d’avoir des ailes, de ne pas appuyer sur le tapis... » Et il ajoutait gaiement : « Moi, quand je descends un escalier, je me sens un empereur aimé descendant vers son peuple... Il faut que tu te sentes une traîne derrière toi, une traîne qui n’en finit plus, soutenue par de petits pages nègres, dix-huitième siècle, la soulevant, vingt marches au-dessus ! » Et la leçon recommençait : « Monte maintenant... légèrement, légèrement, petite... Ne bats pas des bras comme cela... Retourne la tête maintenant. Ah ! le joli tableau !... A propos, il faudra te coiffer différemment. Et puis, qu’est-ce que c’est que ce petit bracelet d’or à ton poignet ! Une fleur, mademoiselle, voilà le seul bijou que votre papa vous autorise à porter. »

Il dessinait lui-même mes robes, et il fallut que j’apprisse à les faire. Il me donna un professeur