fouetter les arbres, enfin donner cours à la joie qui m’étouffait ! Mon cœur battait à se rompre, mais je ne laissais pas mon visage trahir mon émotion, de peur de nuire à la dignité de ma race.
Prenant alors le parti qui me parut le plus digne, j’écartai la foule et me dirigeai, entre deux haies de curieux, vers le demi-cercle d’Arabes devant lequel se tenait l’homme à la barbe grise.
Tandis que j’avançais lentement, je remarquais sa pâleur et son air de fatigue. Il avait un pantalon gris, un veston rouge et une casquette bleue, à galon d’or fané. J’aurais voulu courir à lui, mais j’étais lâche en présence de cette foule. J’aurais voulu l’embrasser, mais il était anglais, et je ne savais pas comment je serais accueilli [1].
Je fis donc ce que m’inspiraient la couardise et le faux orgueil : j’approchai d’un pas délibéré, et dis en ôtant mon chapeau :
« Le docteur Livingstone, je présume ?
– Oui », répondit-il en soulevant sa casquette, et avec un bienveillant sourire.
Nos têtes furent recouvertes, et nos mains se serrèrent.
« Je remercie Dieu, repris-je, de ce qu’il m’a permis de vous rencontrer.
– Je suis heureux, dit-il, d’être ici pour vous recevoir. ».
Je me tournai ensuite vers les Arabes, qui m’adressaient leurs yambos,
- ↑ On sait qu'en Angleterre le savoir-vivre exige qu'on ne parle qu'aux personnes qui vous ont été présentées individuellement. (J. Belin de Launay )