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armes ; et, avec une pantomime significative, il exprima l’avantage qu’elles donneraient à un seul individu sur tout un peuple n’ayant que des flèches.

« Que les Vouasoungou sont donc savants ! s’écriait-il. Quelle tête que la leur ! Quelles merveilleuses choses ils font ! Voyez leurs tentes, leurs armes, leurs étoffes, leurs montres ; et cette petite machine roulante qui porte plus que cinq hommes[1]. »

Remis de l’extrême fatigue de la dernière marche, nous quittâmes Msouhoua le 10 avril, escortés des gens du village, qui nous accompagnèrent jusqu’à leur estocade, en nous adressant des quaharys unanimes.

La route promettait d’être moins rude que la précédente. Elle nous fit passer d’abord dans une charmante plaine que traverse un mtoni, canal torrentiel, qui se trouvait alors à sec, puis entre des champs, dont les cultivateurs nous regardèrent bouche béante et les yeux fixes, comme des gens fascinés.

Peu de temps après, nous rencontrâmes — chose commune dans cette partie du monde — une bande d’esclaves qu’on dirigeait vers la côte. Les pauvres gens n’avaient pas l’air abattu, au contraire ; ils semblaient imbus de la gaieté philosophique du serviteur de Martin Chuzzlewit. Sans les fers dont ils étaient chargés, il eût été difficile de les distinguer de leurs maîtres ; visages et physionomies étaient les mêmes, et nous fûmes regardés par tous avec une égale bénignité. Leurs chaînes étaient lourdes à entraver des éléphants ; mais ils ne portaient pas autre chose, et il était possible que leur fardeau n’excédât pas celui des pagazis.

Après une marche de onze milles, nous nous arrêtâmes à Kisémo, bourgade située dans un district populeux. Pas moins de cinq villages aux alentours, ayant chacun leur estacade, fortifiée par un abattis d’épines ; villages aussi jaloux de leur indépendance, que si leurs petits seigneurs avaient été des Percys et des Douglas ; tous bravement perchés sur un tertre, ou à la crête d’un sillon, avec cet air de défi que prend un coq sur son propre tas de fumier.

Entre ces humbles éminences, serpentent d’étroites vallées où l’on cultive le sorgho et le maïs. Derrière Kisémo passe l’Oungérengéri, petite rivière limpide, profondément encaissée, qui, pendant la saison pluvieuse, n’en couvre pas moins ses bords, et

  1. Mousoungou, dont Vouasoungou est le pluriel et qui dans toute cette région désigne un homme blanc, de race européenne, est, d’après Burton, synonyme de savoir. Ousoungou, pays de la Science, pays des Blancs. (Note du traducteur.)