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patelin, au front ridé, aux paupières chassieuses, perçait un fourbe de la pire espèce.

« Le chef de Kingarou m’appelle un riche sultan, lui dis-je, avec le même sourire, pourquoi ne vient-il pas avec un présent digne de ma richesse, et qui lui en vaudrait un d’égale valeur ?

— Il n’y a pas de sorgho dans le village, répondit l’affreux homme, toujours souriant ; Kingarou est pauvre.

— Dans ce cas-là, repris-je, voici une demi-choukka (un mètre de cotonnade) ; c’est le prix de ce que vous m’apportez. Si vous aimez mieux designer votre petite corbeillée de grain sous le nom de présent, j’appellerai mon étoffe un cadeau. »

Ma logique parut le satisfaire, et il prit volontiers le mètre d’étoffe.

Le même soir mon cheval arabe me parut souffrant ; le lendemain il était mort. J’en fis l’autopsie : nous lui trouvâmes dans l’estomac, en surplus d’une masse d’herbe et de sorgho non digérés, vingt-cinq vers blancs gros et courts, attachés comme des sangsues aux parois de l’organe, et dans les intestins une quantité prodigieuse de lombrics. Il n’y a pas de créature, homme ou bête, qui puisse résister à un semblable parasitisme.

Pour ne pas rendre pire le mauvais air de l’endroit, je fis enterrer le pauvre animal à vingt mètres du camp. Là-dessus grand courroux du chef qui réunit ses collègues des bourgades voisines ; — chacun de ces hameaux pouvait bien avoir deux douzaines de huttes en clayonnage.

Le conseil délibère, et finit par déclarer que le fait d’avoir enterré un cheval mort sur le territoire de Kingarou, et de l’avoir fait sans permission, est une injure grave, passible d’une amende.

Paraissant donc fort indigné de cette injure impardonnable, Kingarou m’envoya quatre de ses sujets, porteurs du message suivant : « Vous avez mis votre cheval dans ma terre ; je veux bien qu’il y reste ; mais pour cela vous me payerez deux dotis (huit mètres) de mérikani. »

Je répondis aux messagers que cette affaire ayant besoin d’explication, je tenais à la traiter avec le chef lui-même ; et que je priais celui-ci de vouloir bien venir me trouver. Comme le village n’était qu’à un jet de pierre, le chef arriva quelques minutes après, suivi de la moitié de son peuple.

Le dialogue qui s’établit entre nous, et qu’on va lire, montrera la nature des gens auxquels j’allais avoir affaire pendant près d’une année.