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jettent des regards prudents et scrutateurs autour d’eux[1]. Vous n’apercevez que leurs oreilles, leur front, leurs yeux, leurs narines, et comme ils replongent rapidement, il faut avoir la main prompte et sure pour les atteindre.

Des Arabes m’avaient dit, qu’à la nage, ces animaux avaient l’air de troncs d’arbres morts emportés par le courant ; d’autres personnes, qui avaient vu nager des cochons, les comparaient à ces derniers ; pour moi, je trouve qu’ils ressemblent beaucoup plus à des chevaux : leur encolure faisant la courbe, leurs oreilles pointues, leurs yeux largement ouverts, leurs naseaux dilatés font naître cette comparaison.

Le soir ils gagnent le rivage et vont, souvent à de grandes distances, se repaître des herbes luxuriantes dont le sol est chargé. On rencontre leurs empreintes à quatre milles de Bagamoyo, qui est à huit milles du Kingani. Si la voix humaine ne vient pas les repousser, ils entrent dans les champs de maïs, et y font, en quelques minutes, des ravages effrayants. Aussi ne fus-je pas étonné, pendant que le bac allait et venait, d’entendre les noirs propriétaires du pays jeter les mêmes clameurs, qu’en Angleterre, les enfants blancs et roses des fermiers adressent aux corneilles, à l’époque où le blé commence à poindre.

La caravane, pendant ce temps-là, avait passé la rivière : bêtes et gens, armes et bagages étaient sains et saufs. J’aurais voulu m’arrêter au bord de l’eau, y camper et chasser l’antilope, autant par nécessité que par plaisir, afin d’épargner mes chèvres qui constituaient mon fonds de réserve, mais la terreur que les hippopotames inspiraient à mes hommes, me força de gagner un petit village appelé Kikoka, situé à quatre milles du Kingani, et où la garnison de Bagamoyo a son dernier poste.

La rive occidentale, sur laquelle nous nous trouvions alors, était bien meilleure que l’autre. Plus de noires fondrières, plus de torrents de vase ni de grandes herbes, plus de fourrés pestilentiels ; un terrain uni comme une plage, allant par une montée insensible, rejoindre une côte au sommet arrondi, qui s’élevait en

  1. Ce rejet par les narines, très-caractérisé dans les endroits où l’hippopotame n’a rien à craindre, devient moins bruyant dans les régions ou la bête commence à être inquiétée, et cesse tout à fait quand la chasse est active. De même les hippopotames de la rivière Sainte-Lucie et des petits cours d’eau voisins, qui en habitaient les parties étroites, s’y voyant moins en sûreté, ont gagné l’embouchure ; et, toujours traqués vont d’une rivière à l’autre, ce qu’ils font par mer, passant ainsi de l’eau douce à L’eau salée. Il serait curieux d’étudier les modifications qui peuvent résulter, au physique, de ces changements d’habitudes. (Note du traducteur.)