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vu les circonstances, comme disent les Irlandais, tout s’était bien passé ; la petite charrette n’avait pas versé plus de trois fois ; l’âne de Zaïdé, qui portait une caisse de munitions et un sac renfermant une partie de mes effets, n’avait cédé qu’une fois à l’envie de se rouler, mais dans une flaque d’eau noire, ce qui nécessitait le blanchissage des vêtements ; quant à la caisse, elle était imperméable et n’avait pas d’avarie. Kamma, dans la joie du départ, avait oublié les difficultés qu’une pauvre bête d’espèce asinine peut avoir à combattre, telles qu’ignorance de la route, tentation irrésistible de s’égarer dans le manioc et d’y rester. Il avait fallu chercher le baudet, qui, à la vue d’un gourdin s’agitant devant lui, au lieu de comprendre ses torts, avait pris la fuite et galopé en sens contraire, jusqu’au moment où son fardeau, perdant l’équilibre, l’avait entraîné dans sa chute. Mais tout cela était peu de chose, et naturel à une première marche.

Si les ânes n’étaient pas parfaits, les bâts étaient d’une qualité au delà de toute espérance. Leur toile portait ses cent cinquante livres avec la force d’un cuir de bœuf, et leur agencement permettait de charger et de décharger telle ou telle partie du bagage, avec autant d’ordre que de prestesse.

Déjà les caractères commençaient à se révéler ; Bombay, bien que toujours sûr, paraissait avoir du penchant pour les haltes ; Oulédi faisait plus de bruit que de besogne ; tandis que Férajji, l’ancien déserteur, et Mabrouki le manchot, se montraient pleins de courage, portant des charges dont la vue aurait effrayé un porte-faix de Stamboul.

Les trois jours suivants furent employés à compléter nos préparatifs de départ, et à nous précautionner contre la masika, dont les signes précurseurs étaient de plus en plus marqués. Soldats et pagazis profitèrent de cette relâche pour aller retrouver leurs connaissances féminines ; mais je me suis interdit la chronique scandaleuse.

Chamba Gonéra, signifie Champ de Gonéra ; ce dernier mot est le nom d’une veuve hindoue, fort bien disposée à l’égard des blancs. C’est une femme riche, qui fait un commerce important avec les provinces lointaines du centre de l’Afrique, où elle envoie beaucoup de marchandises et d’où elle tire une grande quantité d’ivoire. Sa demeure, faite sur le plan des maisons de Bagamoyo, est un carré long, à grande toiture inclinée, dont le bord dépasse la muraille, de manière à couvrir une véranda, sous laquelle les porteurs ont du plaisir à paresser.