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la plaine voisine ; la causette avec le vieux djémadar, ou avec ses Béloutchis, qui ne se lassaient pas de me répéter « que la masika approchait et que je ferais bien de décamper en toute hâte. » Enfin des Arabes, comme nous occupés de leur départ, venaient nous voir, ce qui était pour Shaw l’occasion de témoigner toute sa mauvaise humeur. Suivant l’usage du pays, j’offrais le café à mes Arabes, auxquels la politesse voulait que le plateau fut présenté d’abord. Cette formalité indignait mon compagnon ; il ne supportait pas que ces gens-là, « des nègres » ainsi qu’il les appelait, fussent servis avant lui, un homme de race blanche.

Pauvre Shaw ! ignorant comme un bébé des maux que lui réservait l’avenir. S’il avait pu savoir que cette injure à la couleur de sa peau était la moindre des calamités qu’il subirait en Afrique ! Mais il montrait pleinement l’inaptitude que l’Anglo-Saxon peu éduqué a pour les voyages, et pour tout rapport avec les gens d’une autre race. Je vis même qu’il était nécessaire de le séparer de Farquhar. Rien de sociable chez lui, pas le moindre grain d’humour ; un fond de vanité qui s’alarmait aisément, et une ambition qui, dans son essor, atteignait l’empyrée et planait au delà de tout ce qu’on peut imaginer. Pour un homme de l’intelligence et du caractère de l’autre, c’était bien le camarade le plus irritant qu’il fût possible d’avoir.

Je choisis donc Farquhar pour chef de la troisième bande, réservant à Shaw un emploi dans la mienne. Sur l’annonce de cette résolution, les hostilités cessèrent immédiatement.

Parmi les membres de la caravane, se trouvaient deux Goanais et deux Hindis. Ils s’étaient figuré l’intérieur de l’Afrique comme un Eldorado, un pays jonché d’ivoire ; et dans un jour de surexcitation, ils avaient associé leurs épargnes pour une petite affaire qui devait les enrichir. On les appelait Jako, Abdoul-Kader, Bander Salaam et Aransélar. Furent-ils dégrisés par les renseignements qu’on leur donna, ou la vision disparut-elle devant les dangers de l’entreprise ? Je ne saurais le dire. Toujours est-il qu’Aransélar, qui était notre sommelier, s’ingénia, pendant qu’il en était temps encore, à chercher le moyen de rompre son engagement. Il demanda la permission d’aller voir ses amis, l’obtint, et partit pour Zanzibar. J’appris le surlendemain, qu’il s’était fait sauter l’œil droit, ce qui me fut confirmé par le docteur Christie, chirurgien de Sa Hautesse. Il est probable que les autres avaient le même dessein ; mais l’ordre formel qu’ils reçurent de s’abstenir d’une pareille folie, les empêcha d’exécuter leur projet.