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en inventait par douzaines et semblait ne penser qu’aux moyens de me piller davantage. Je ne travaillais qu’à déjouer ses fraudes ; et j’étais à bout de ressources. Le dénoncer devant tous ses camarades, ne faisait monter nulle rougeur à sa figure terreuse ; il en haussait les épaules, et voilà tout ; me laissant commenter le fait comme je l’entendais. Le menacer de réduire sa commission ne le touchait pas davantage ; pour lui un bon tiens, valait mieux que deux tu l’auras ; et dix dollars pris aujourd’hui, lui semblaient meilleurs que la promesse d’en avoir vingt dans quelques jours.

Il en prit tant et si bien, malgré ma surveillance, que les trois mille cinq cents dotis qui devaient suffire à payer cent quarante porteurs, étaient dépensés. Or, je n’avais que cent trente hommes et Hadji Pallou, digne garçon ! m’apportait son mémoire dont le total s’élevait à quatorze cents dollars.

On se demandera pourquoi je n’avais pas rompu avec ce coquin, dès la première affaire ? C’est parce que, sans lui, je serais resté à Bagamoyo plus de six mois, et qu’un prompt départ était indispensable. À tout prix, il fallait se mettre en marche ; et l’affreux Hadji, ou ses pareils, pouvaient seuls m’en fournir les moyens. Je n’ai jamais dépendu de personne comme de cet Hadji Pallou.

À la vue de ce mémoire de quatorze cents dollars, j’entrai dans une vive colère ; et je signifiai à mon jeune homme qu’il ne recevrait pas un picé[1] avant d’avoir réduit sa facture à un chiffre acceptable. Mais tout ce que je pus lui dire fut sans effet ; déclarations, menaces, promesses pleuvaient sur sa tête et passaient inaperçues. Il me fallut recourir à Tarya Topan. Ce dernier m’envoya un appelé Kandji ; le mémoire fut révisé et tomba à sept cent trente-huit dollars. Notez bien que, sauf le respect dû au noble Hindi, son envoyé ne valait pas mieux que le jeune Pallou. Entre Kandji et mon aigrefin, il n’y avait pas l’épaisseur d’un fétu. Mais que la paix soit avec eux ; et puissent leurs têtes rasées ne jamais recevoir la couronne d’épines qu’ils m’ont fait porter à Bagamoyo.

Si dans ce chapitre, et dans quelques autres, je rapporte de ces menus détails qui vous semblent insignifiants, ne croyez pas, si peu importants qu’ils vous paraissent, que j’aurais dû les passer sous silence. Chacun d’eux est un fait, et connaître des faits c’est augmenter son savoir. Comment d’ailleurs vous raconter mon voyage sans vous parler des misères qu’il m’a fait subir, et qui

  1. Petite pièce de monnaie de Zanzibar, valant à peu près quatre centimes.