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énergique, prompt au calcul mental, né pour réussir dans le commerce. Ses yeux n’étaient jamais oisifs ; ils erraient sans cesse, explorant toutes les parties de mon corps, expertisant la tente, les armes, la literie, les vêtements ; quand la ronde était faite, ils la recommençaient, et toujours et toujours. Ses doigts non plus ne connaissaient pas le repos ; ils avaient des inquiétudes, des mouvements fébriles qui les obligeaient à palper constamment. Tout en me parlant, ce bon jeune homme se penchait, et tâtait mon pantalon, mon habit, mes souliers, mes chaussettes ; puis la mousseline ouvrée de sa légère chemise, l’étoffe à carreaux blancs et bleus de sa ceinture, jusqu’au moment où ses yeux, s’arrêtant par hasard sur quelque nouveauté, son corps se repenchait, les bras tendus, les mains ouvertes. Ses mâchoires elles-mêmes s’agitaient perpétuellement, par suite de l’habitude qu’il avait de mastiquer du bétel, assaisonné de chaux, remplaçant quelquefois le bétel par du tabac, sans supprimer la chaux, et produisant le même bruit qu’un jeune animal qui tète.

Bon mahométan, du reste ; un pieux jeune homme, fidèle observateur des pratiques et de l’étiquette musulmanes. Il saluait d’un air affable, se déchaussait, entrait dans ma tente, assurait qu’il était indigne de s’asseoir en ma présence, s’asseyait néanmoins, et entamait son tortueux discours.

Quant à la pratique de l’honnêteté, ce fidèle croyant ne s’en doutait pas. L’habitude du mensonge avait banni de son regard toute franchise, enlevé à ses traits toute candeur, et fait de cet adolescent le fripon le plus éhonté, l’homme le plus expert en gredinerie.

Pendant les six semaines que j’ai passées là, ce garçon de vingt ans m’a donné plus de fil à retordre que tous les escrocs de New-York n’en donnent à la police. Dix fois par jour on le prenait la main dans le sac ; il n’en était pas même troublé. Quand on lui rendit son étoffe, au lieu des vingt-cinq dotis par homme qu’il me comptait, il se trouva que les porteurs en avaient reçu vingt au maximum, quelques-uns n’en avaient eu que douze ; et cette cotonnade qu’il me vendait comme première qualité, quatre fois plus cher que le tissu habituel, était de la dernière sorte, valant, à Zanzibar, moins de dix sous le mètre.

Sur les rations qu’il avait fournies aux mêmes porteurs, et que j’avais amplement payées, il manquait de cinq à trente livres par tête. Même escroquerie à propos de l’argent qu’il fallait donner au bac du Kingani. Tous les jours c’étaient de nouvelles ruses ; il