Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet homme, appelé Charura, avait une demi-douzaine de serviteurs, qui moururent tous ; il resta chez les Basañgo, qui le prirent pour chef. À la troisième génération, on comptait soixante guerriers parmi ses descendants en ligne directe, ce qui implique un nombre égal du sexe féminin. Tous ces descendants étaient de couleur claire, et se reconnaissaient facilement aux perles de corail qu’avait apportées Charura, parure dont l’usage n’était permis qu’à la famille royale. Un livre, qui avait appartenu au roi, n’a été perdu que tout dernièrement. Ce fait vient à l’appui de la célèbre théorie de Darwin sur l’origine des espèces : d’où l’intérêt qu’il présente ; car il montre qu’une race améliorée, ainsi que nous autres blancs nous nous qualifions avec modestie, n’est pas aussi aisément absorbée par le nombre que le pensent certaines personnes.

« Il y a près de la route que je vais suivre deux chefs mazitous. J’aurais pu demander et obtenir l’immunité du passage sur leur territoire, ainsi que l’ont obtenue les Arabes de Séid Médjid ; mais je suis maintenant beaucoup trop riche pour aller chez des voleurs. En d’autres temps je l’aurais fait sans crainte, sur la foi du proverbe écossais : « Personne ne peut prendre la culotte d’un Highlander. » Sans compter sur un succès hors ligne, j’ai l’espoir de me retrouver à Oujiji dans huit mois. Si quelqu’un met en doute la sagesse de ma décision, ou m’accuse, à propos de cette dernière course, de manquer d’amour pour ma famille, j’en appelle avec confiance à l’approbation du Conseil de la Société de géographie, qui est au courant de toute l’affaire.

« Si j’avais pu connaître l’arrivée de l’expédition qu’on envoyait à ma recherche, j’aurais certainement employé une partie de ses membres à l’exploration du lac Victoria, pour laquelle les officiers de marine qui dirigeaient l’entreprise étaient de la plus haute compétence. La carcasse d’un bateau que M. Stanley m’a laissée leur en eût donné le moyen, et ils auraient eu le mérite d’une exploration indépendante qui ne pouvait manquer de réussir.

« J’ai voyagé pendant longtemps en compagnie de trois Sanhéli, pleins d’intelligence, qui ont passé respectivement trois, six et neuf années à l’est du lac Victoria, que là-bas on appelle Okara, et de ce côté-ci Mkara. Ils m’ont décrit trois ou quatre lacs, dont un seul envoie ses eaux vers le nord.

« L’Okara parait être le lac Victoria proprement dit. Du milieu de sa rive orientale, ou à peu près, il se déverse au levant par un canal appelé Kidette, et dans lequel se trouve de nombreuses pêcheries, où l’on prend beaucoup de poisson. Ce canal est d’une longueur de trois jours de pirogue, et rejoint le lac Kavirondo, qui, à vrai dire, n’est pas un lac, mais un bras de l’Okara. Des gens d’une couleur très-foncée vivent sur ses bords et ont des troupeaux de vaches. Les Masaï sont plus à l’est.