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pût y parvenir. Or, la masika, ou saison pluvieuse, était proche ; si elle me surprenait à Bagamoyo, je ne pourrais partir que lorsqu’elle serait finie ; et d’après tous ceux qui m’en parlaient, sa durée était de quarante jours. Six semaines de pluie sans interruption ; du moins on l’affirmait. Je savais trop bien ce que j’avais en perspective ; je gardais le souvenir de tous les genres d’ennuis que l’eau du ciel peut causer. Je connaissais la pluie de Virginie et tout ce qui l’accompagne ; avaries, moisissures, fièvres et rhumatismes ; la pluie d’Angleterre, bruine misérable qui vous donne le spleen ; les averses d’Abyssinie, pour lesquelles le firmament ouvre ses cataractes, nouveau déluge qui submerge tout le pays en quelques heures ; enfin la mousson des Indes, pluie violente et continue, qui vous claquemure pendant longtemps. À laquelle de ces pluies la masika devait-elle être comparée ? Burton, en décrivant l’Ouzaramo avait beaucoup parlé de fange. Une contrée dont le sol était qualifié de boue noire pendant la belle saison, comment l’appelait-on lorsqu’une pluie de quarante jours l’avait détrempée et qu’elle avait été piétinée par toute une caravane, pagazis et baudets ? Ces réflexions, nées des circonstances, me revenaient sans cesse et me créaient d’assez vives inquiétudes.

Fidèle à sa promesse, Ali vint me trouver le lendemain, et, d’un air d’importance examina ma cargaison. Après avoir regardé la pile d’étoffes, il me dit que tous ces ballots devaient être mis dans des sacs en natte appelés makandas[1] ; qu’il enverrait un homme en prendre mesure, et me recommanda surtout de ne pas parler du prix, il en faisait son affaire.

Pour la façon de mes ballots, je m’en étais remis à l’expérience d’un nommé Djetta, commissionnaire à Zanzibar. Celui-ci, prenant toutes les étoffes, calicot, indiennes, soie-et-coton, lainages et autres, les avait empaquetées pêle-mêle, sans s’inquiéter du poids. Un jour se présentent deux pagazis (c’est le nom des porteurs) ; ils viennent pour se louer et demandent à voir leur charge ; ils la soulèvent, font la moue et se retirent. La dite charge est pesée : trois frasilahs ; une de plus qu’il ne faudrait.

  1. L’auteur a mis un s à makanda, nous l’avons conservé, parce que nous retrouverons le même mot au singulier ; mais, dans la langue du pays, makanda est le pluriel de kanda, nom de l’espèce de natte dont les ballots sont enveloppés. La kanda se fait avec les feuilles du palmier nain, dont la fronde, pour cela, est pelée et séchée au soleil, fendue en cinq ou six, et dont les brins sont tressés. Dans l’intérieur de l’Afrique on emploie la kanda en guise de tapis.(Note du traducteur.)