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une pareille harmonie ; écouter, dans ce pays sauvage, les airs connus de France, entendre ces négrillons chanter la gloire et la vaillance françaises avec l’aplomb de gamins du faubourg Saint-Antoine, c’était bien fait pour étonner.

Je passai une nuit excellente ; et dès l’aurore je me rendis au camp, tout disposé à jouir de ma nouvelle existence.

Je comptai mes ânes, il en manquait deux ; je pris note de mes valeurs : un rouleau de fil de laiton avait disparu. Évidemment chacun avait dormi, oubliant les rôdeurs nocturnes. Le djémadar, l’homme au turban à queue, à la peau crasseuse, fut averti et eut la promesse d’une récompense. Avant le soir l’un des ânes fut découvert dans un champ de manioc, dont il broutait les feuilles ; mais l’autre ne fut jamais retrouvé, non plus que le fil de cuivre.

Dans la journée je reçus la visite d’Ali-Ben-Sélim, qui me prodigua les salaams. Son frère, l’ancien chef des caravanes de Burton et de Speke, devait être mon agent dans l’Ounyanyembé ; je pouvais donc croire à ses politesses, et j’acceptai sans hésitation l’offre qu’il me faisait de son concours. Hélas ! malheur aux natures trop confiantes ! Ce Ben-Sélim m’invita à venir chez lui, prendre le café. Je me rendis à sa demeure, un logis confortable. Le café était bon, bien que sans sucre, et la parole flatteuse.

« Que puis-je faire pour votre service ? je suis votre ami, j’ai hâte de vous le prouver.

— J’ai grand besoin, répondis-je, d’un homme dévoué qui me procure des porteurs et qui me les envoie promptement. Votre frère connaît les Vouasoungou, il sait ce que valent leurs promesses. Trouvez-moi cent quarante pagazis, et je vous payerai ce que vous voudrez.

— Me payer pour ce léger service ! s’écria le reptile d’une voix onctueuse. Je ne vous demande rien, mon ami ; et soyez tranquille, vous ne serez pas ici dans quinze jours. Demain matin j’irai visiter vos bagages et verrai le nombre d’hommes qui vous est nécessaire. »

Je le quittai en me félicitant de l’avoir connu, et me croyant déjà sur la route de l’Ounyanyembé.

Deux raisons puissantes me faisaient souhaiter un prompt départ : l’opinion que j’avais conçue de Livingstone, et l’époque où nous étions alors. S’il était vrai que l’illustre voyageur, ainsi qu’on me l’avait fait craindre, fût homme à fuir ma présence, il importait que j’atteignisse l’Oujiji avant que le bruit de mon arrivée