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LE DOCTEUR LIVINGSTONE AU DOCTEUR KIRK.
« Oujiji, 30 octobre 1871.
« Monsieur,

« J’ai écrit le 25 et le 28 deux lettres, en toute hâte, l’une pour vous, la seconde pour lord Clarendon ; elles sont parties toutes les deux pour l’Ounyanyembé. Je venais d’arriver, complètement épuisé d’esprit et de corps, et j’avais découvert que Shérif Baché, votre agent, avait troqué à son profit, pour des esclaves et pour de l’ivoire, tous les objets dont vous l’aviez chargé. Le Koran, qu’il avait consulté, lui avait dit que j’étais mort. Il avait écrit au gouverneur de l’Ounyanyembé, qu’ayant appris mon décès par des esclaves qu’il avait envoyés dans le Manyéma, il demandait l’autorisation de vendre mes marchandises. Il savait pourtant que j’étais à Bambarre, près du lac, où je l’attendais, lui et sa cargaison ; des gens qui étaient venus avec moi du Manyéma le lui avaient annoncé. Il n’en poursuivit pas moins son projet, et quand mes amis protestèrent contre la vente qu’il faisait de mon avoir, il répondit invariablement : « Vous ne savez pas ce qui en est ; le consul m’a ordonné de rester un mois à Oujiji, ensuite de tout vendre et de revenir. » Quand j’arrivai, il me dit que c’était Ladha qui lui avait donné cet ordre.

« J’ai su, par les esclaves banians que vous m’avez envoyés et qui l’accompagnaient, que Ladha vous avait procuré ce Shérif Baché sur la recommandation d’Ali ben Sélim ben Rachid, personnage notoirement déshonnête.

« À peine Shérif eut-il obtenu le commandement, qu’il alla trouver Mohammed Nassar ; Mohammed lui remit vingt caisses de savon et huit d’eau-de-vie, destinées à être vendues en détail pendant le voyage.

« À Bagamoyo, Shérif reçut de deux Banians, dont j’ignore le nom, une certaine quantité de poudre et d’opium. Chez ces Banians, Shérif brisa les caisses de savon, et en plaça le contenu dans mes ballots.

« Les caisses d’eau-de-vie furent conservées intactes ; et leur transport, de même que celui de la poudre et de l’opium, fut soldé avec mon étoffe.

« Non-seulement tous les frais occasionnés par la spéculation des Banians furent à ma charge ; mais arrivé dans l’Ounyanyembé, Shérif envoya à ses complices cinq frasilahs d’ivoire, d’une valeur de soixante livres, et ce fut toujours avec mon étoffe que furent payés les porteurs.

« Loin de se hâter de me venir en aide, Shérif mit quatorze mois à faire un trajet qui n’en demande que trois aux caravanes ordinaires. Si nous ôtons deux mois de maladie, il restera encore un an, dont les trois quarts ont été consacrés aux intérêts particuliers des Banians et de