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« Le destin de cette expédition est réglé. À moins que Livingstone ne reparaisse dans le monde civilisé, ne vous attendez pas à entendre reparler de ce commissionné de l’Herald. Il enfoncera dans quelque autre marais de la Makata, et suivra la même voie que son chien, l’infortuné Omar (sic semper). »

Ainsi, pendant que je traversais l’Afrique pour accomplir un message que, dans mon innocence, je supposais devoir obtenir les éloges de tout chrétien, il se trouvait des gens qui désiraient ma perte. C’est étonnant comme la civilisation diffère peu de la barbarie, et combien est mince la ligne qui sépare certains blancs des sauvages à peau noire.

J’ai vu ceux-ci aimables et bons pour qui ne les maltraite pas ; et le sentiment contenu dans l’extrait de ce journal m’annonce ce qui m’attend dans mon propre pays. En tout cas, s’il m’est donné d’y revenir, j’aurai la partie belle ; les rieurs seront de mon côté.

Une lettre de Zanzibar me dit en effet qu’il y a à Bagamoyo une expédition dont le but est de chercher Livingstone et de lui porter secours. Que fera maintenant cette expédition ? Livingstone est retrouvé et secouru. Il n’a plus besoin de rien ; il le dit lui-même. C’est un malheur que les chefs de cette entreprise ne soient pas partis plus tôt ; ils auraient pu continuer leur marche en toute convenance, et auraient reçu bon accueil.

4 mai. Arrivés au bac du Kingani, nous n’avons pas pu nous faire entendre du passeur. Entre nous et Bagamoyo est une plaine entièrement inondée, et qui n’a pas moins de quatre milles de large. La traversée d’une pareille étendue nous demandera beaucoup de temps.

5 mai. Kingouéré, le propriétaire du bac, est arrivé à onze heures de Gongoni, village qu’il habite, et qui est situé de l’autre côté de l’inondation. Quelle lenteur ! c’est à croire qu’il descend de quelque roi Soliveau, de ses noires grenouillères ; je n’ai vu nulle part l’inertie caractéristique de ce royal personnage plus fidèlement représentée.

Enfin arrivèrent les deux pirogues mal dégrossies et tournoyantes de notre passeur, qui ne put emmener à la fois que douze d’entre nous. Il était trois heures quand j’arrivai à Gongoni.

6 mai. La promesse d’une gratification de cinq dollars, en numéraire, ayant fait comprendre à Kingouéré la nécessité pour lui d’agir lestement, j’ai la satisfaction de voir arriver le dernier de mes hommes à trois heures et demie.