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ciel obscur et fondant en eau ; autour de nous une forêt, dont la pluie fouettait les branches ; sous nos pieds une boue noire et nauséabonde.

L’aurore parut ; la rivière montait toujours et semblait nous vouer à une perte inévitable. Il fallait se hâter ; faire vite passer les gens, ainsi que les papiers, qui constituaient à mes yeux le trésor de l’expédition. Mais par quel moyen ?

Tandis que je regardais cette eau effrayante, l’idée me vint tout à coup de faire, avec deux longues perches, une sorte de civière sur laquelle seraient fixées, chacune à leur tour, les caisses de papiers et de dépêches. Deux hommes vigoureux prendraient ce brancard sur leurs épaules, et le passeraient à la nage en se tenant à la corde. Immédiatement on fit le brancard ; six couples de nageurs furent désignés parmi les plus vigoureux ; il y eut promesse d’étoffe, distribution de grogs, et le passage commença. Lorsque je vis avec quelle aisance mes gens portaient leur civière, en s’aidant du va-et-vient, je fus surpris de n’avoir pas songé plus tôt à ce procédé.

Bref, une heure après l’arrivée du premier couple, toute la bande, saine et sauve, était sur la rive orientale. Le camp fut levé ; et nous nous dirigeâmes vers le nord, à travers la forêt où, par endroits, il y avait quatre pieds d’eau.

Sept heures d’un barbotage ininterrompu, agrémenté de divers accidents, plus ou moins drôles, nous conduisirent à Réhennéko.

Là, nous nous retrouvions à la lisière de la plaine de la Makata, cette fois trop horrible pour qu’on pût songer à la franchir.

Il y avait dix jours que nous étions campés sur une colline, située près du village, quand, le 25 avril, tomba la dernière averse. Mais bien que la pluie eût cessé, nous aurions attendu un mois avant que l’inondation eût baissé de quatre pouces. L’étoffe, à l’exception de la petite quantité qui m’était nécessaire pour ma propre table, fut distribuée à mes gens, et nous partîmes. Une fois dans l’eau, à quoi bon revenir ?

Deux étapes de huit heures chacune, à travers des bourbiers, des marais, des fondrières, des ravins, des abîmes de fange ; dans l’eau jusqu’au cou, à la nage pour franchir les torrents ; et le deuxième jour, au coucher du soleil, nous arrivâmes au bord de la Makata.

Il n’est pas probable que mes hommes oublient jamais cette affreuse nuit ; elle était près de finir que pas un de nous n’avait fermé l’œil, torturés que nous étions par des nuées de mousti-