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Quelle besogne que d’organiser une pareille expédition ! quelles misères ! Courir d’échoppe en échoppe, sous un soleil implacable ; se débattre avec l’Hindi à face livide, démasquer le fourbe Goanais, lutter de ruse avec le Banian ; dépenser des paroles à remplir des volumes, faire des comptes, recevoir des marchandises ; peser, mesurer, estimer, surveiller, s’inquiéter et s’ingénier. — Ah ! quand arrivait le soir, que la tête et les membres avaient besoin de repos !

Mais les soldats étaient équipés ; les selles, les tentes, les bateaux et leurs voiles étaient prêts. Les chevaux hennissaient, les ânes brayaient, impatients de se mettre en route.

Le lendemain, 5 février, quatre daous étaient devant le consulat. On mit les chevaux dans la première ; la deuxième et la troisième reçurent les ânes ; la quatrième, beaucoup plus grande, fut chargée de la troupe et de la cargaison.

L’arrimage était fini, tout le monde était à bord ; Shawet Farquhar ne paraissaient pas. Après d’actives recherches, on les trouva chez un marchand de liqueurs, où ils exposaient à une douzaine d’ivrognes ce qu’il y a de sublime dans le grand art d’explorer l’Afrique, et où ils tâchaient d’écarter, à force de whisky, les noirs pressentiments qui se glissaient dans leur âme.

« Mauvais début ! leur dis-je, lorsqu’en titubant ils approchèrent du quai.

— Sans… sans vous déplaire, monsieur, puis-je vous demander si… si vous croyez que… que j’ai eu raison de vous promettre… d’aller avec vous ? balbutia Shaw.

— N’avez-vous pas signé le contrat ? demandai-je à mon tour. Embarquez vite, messieurs. Nous sommes tous engagés maintenant ; affaire de vie ou de mort, peu importe : nul ne peut déserter son devoir. »

Il était près de midi quand nous mîmes à la voile. Le drapeau américain, un présent de mistress Webb, fut hissé à l’avant. Le consul, sa femme et ses deux enfants, Marie et Charley, étaient sur la terrasse qui couvre la maison, et agitaient leurs chapeaux, leurs mouchoirs et la bannière étoilée en signe d’adieu. Bonne et heureuse famille ! Puisse l’avenir lui être favorable, ainsi qu’à nous-mêmes ; et que Dieu nous accompagne !