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mais chaque instant de retard recule la fin de vos travaux et l’heure de votre retour.

— C’est vrai ; mais quelques semaines de plus ou de moins, ce n’est pas une affaire, et votre santé m’occupe. Vous n’êtes pas en état de voyager ; d’ailleurs vous trouverez toutes les plaines inondées ; vous arriveriez aussitôt en ne partant qu’après la pluie.

— Ne croyez pas cela ; dans quarante jours, cinquante au plus j’aurai gagné la côte ; j’en suis sûr. L’idée que je vous rends service m’aiguillonnera. »

14 mars. Nous étions debout tous les deux au point du jour. Les ballots furent sortis du magasin, les hommes se préparèrent.

Le déjeuner a été triste. Je ne pouvais rien prendre, j’avais le cœur trop gros. Lui non plus n’avait pas d’appétit. Nous avons trouvé â faire quelque chose qui m’a retenu. Je devais partir à cinq heures ; à huit heures j’étais encore là.

« Je vais vous laisser deux hommes, lui ai-je dit, vous les garderez jusqu’à après-demain ; il est possible que vous ayez quelque oubli à réparer. Je séjournerai à Toura, où ils m’apporteront votre dernier désir, votre dernier mot. Et maintenant… docteur…

— Oh ! je vais vous conduire ; il faut que je vous voie en route.

— Merci. Allons, mes hommes, nous retournons chez nous ! Kirangozi, déployez le drapeau et en marche ! »

La maison avait l’air désolé ; peu à peu elle s’effaça à mes regards. Les souvenirs surgissaient à chaque pas. Ces collines, que j’avais d’abord trouvées insignifiantes, étaient maintenant pleines d’intérêt. J’avais passé de longues heures à cette place, rêvant et soupirant ; tantôt plein d’espoir, tantôt accablé d’inquiétudes. C’était de ce point que j’avais regardé la bataille et vu brûler Tabora. Dans cette maison, dont je revoyais la terrasse, j’avais eu le délire et pleuré comme un enfant, en pensant au sort qui attendait ma mission. Sous ce figuier, gisait le pauvre Shaw ; j’aurais donné une fortune pour le ravoir auprès de moi.

De là, nous étions partis pour le Tanganika, où j’avais trouvé un nouveau compagnon, et bien autrement cher. Tout cela s’éloignait et prenait les lignes flottantes des songes.

Nous marchions côte à côte. La bande se mit à chanter. J’attachai de longs regards sur Livingstone pour mieux graver ses traits dans ma mémoire.

« Docteur, lui dis-je, autant que j’ai pu le comprendre, vous ne quitterez pas l’Afrique avant d’avoir élucidé la question des sources