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sa recherche pouvait y être intéressé. J’étais, il est vrai, curieux du résultat de ses travaux ; mais ceux-ci n’étaient pas achevés ; et la délicatesse m’empêchait de rien lui demander au delà de ce qu’il voulait bien me dire. Ses découvertes sont le fruit de ses efforts ; elles lui appartiennent ; il espère obtenir, par leur publication, le prix de ses labeurs, qu’il désire placer pour ses enfants ; qui voudrait en diminuer le chiffre ?

Toutefois il a une ambition plus haute que celle de toucher une somme quelconque. Chacun de ses pas forge un anneau de la chaîne sympathique qui doit relier la chrétienté aux païens de l’Afrique centrale. Compléter cette chaîne, attirer les regards de ses compatriotes sur ces peuplades enténébrées, émouvoir en leur faveur les esprits généreux, pousser à leur rédemption, ouvrir la voie qui permettra d’arriver jusqu’à elles, tel est son but ; et ; s’il y parvient, telle sera sa récompense. Folle entreprise, donquichotisme, diront quelques-uns. Non, mes amis, non, ce n’est pas un rêve. De même qu’infidèles et chrétiens, sauvages et civilisés reçoivent la lumière du soleil, qui rayonne partout ; de même un jour, et non moins certainement, tous les esprits s’éclaireront. L’apôtre de l’Afrique ne le verra pas ; ni vous non plus, vous pourrez ne pas le voir, ni peut-être vos enfants ; mais l’avenir en sera témoin ; et la postérité rendra justice à l’homme intrépide qui fut le pionnier de la civilisation dans cette partie du globe.

Je reviens à Kouihara, où je reprends mon journal.

12 mars. Les Arabes m’ont envoyé quarante-cinq lettres que je dois porter à la côte.

Me voilà transformé en courrier ; cela tient à ce que la guerre a suspendu toute communication ; il n’est pas permis aux caravanes régulièrement organisées de sortir de la province. Où en serais-je si j’avais attendu, pour partir, que cette guerre fût terminée ? Dans mon opinion, les Arabes n’auront pas triomphé de Mirambo avant neuf mois.

Ce soir un groupe d’indigènes s’est réuni devant ma porte pour y exécuter, en mon honneur, une danse d’adieux. C’étaient les pagazis de Singéri, chef de la caravane de Mtésa. Mes braves sont allés rejoindre ce groupe ; et en dépit de moi-même, entraîné par la musique, je me suis mis de la partie, à la grande satisfaction de mes hommes ; ils étaient ravis de voir leur maître se départir de sa raideur habituelle.

Une danse enivrante, après tout, bien que sauvage. La musique en est vive ; elle sortait de quatre tambours sonores, placés au