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ami, qui, en atteignant l’embouchure du Zambèse, s’était plongé dans la désolation parce qu’il avait brisé la photographie de sa femme. Après un pareil malheur, disait-il, nous ne pouvions pas réussir. Depuis lors il y a pour moi quelque chose de si burlesque dans la seule pensée du désespoir, que je ne saurais m’y abandonner.

« Alors que je touchais à la plus profonde misère, de vagues rumeurs, au sujet de l’arrivée d’un Européen, vinrent jusqu’à mon oreille. Je me comparais souvent à l’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho ; et je me disais que ni prêtre, ni lévite, ni voyageur ne pouvait passer près de moi. Pourtant le bon Samaritain approchait.

« Il arriva ; un de mes serviteurs accourant de toutes ses forces, et pouvant à peine parler, me jeta ces mots ; « Un Anglais qui vient ! Je l’ai vu ! Puis il repartit comme une flèche.

« Un drapeau américain, le premier qui ait paru dans cette région, m’apprit la nationalité du voyageur.

« Je suis aussi froid, aussi peu démonstratif que nous autres insulaires nous avons la réputation de l’être. Mais votre bonté a fait tressaillir toutes mes fibres. J’en suis réellement accablé et ne peux que dire en mon âme : « Que les plus grandes bénédictions du Très-Haut descendent sur vous et sur les vôtres ! »

« Les nouvelles qu’avait à me dire M. Stanley étaient bien émouvantes. Les changements survenus en Europe, le succès des câbles atlantiques, l’élection du général Grant, et beaucoup d’autres faits non moins surprenants, ont absorbé mon attention pendant plusieurs jours et produit sur ma santé une action immédiate et bienfaisante. Sauf le peu que j’avais glané dans quelques numéros du Punch et de la Saturday Review de 1868, j’étais sans nouvelles d’Angleterre depuis des années. Bref, l’appétit me revint, et au bout d’une semaine j’avais retrouvé des forces.

« M. Stanley m’apportait une lettre bien gracieuse, bien encourageante de Lord Clarendon. Cette dépêche de l’homme éminent, dont je déplore sincèrement la perte, est la première que j’aie reçue du Foreign-Office depuis 1866.

« C’est également par M. Stanley que j’ai appris que le gouvernement britannique m’envoyait une somme de mille livres sterling. Jusque-là, rien ne m’avait fait pressentir cette assistance pécuniaire. Je suis parti sans émoluments ; aujourd’hui le manque de ressources est heureusement réparé ; mais j’ai le plus vif désir que, vous et vos amis, vous sachiez que malgré l’absence