Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais, représenté que vous êtes dans cette région lointaine par M. Stanley, vous ne m’êtes plus étranger ; et en vous écrivant pour vous remercier de l’extrême bonté qui vous a inspiré son envoi, je me sens complètement à l’aise.

« Quand je vous aurai dit l’état dans lequel il m’a trouvé, vous comprendrez que j’ai de bonnes raisons pour employer, à votre égard, les termes les plus forts d’une ardente gratitude.

« J’étais arrivé à Oujiji après une marche de quatre à cinq cents milles, sous un soleil éblouissant et vertical ; ayant été harcelé, trompé, ruiné, forcé de revenir alors que je touchais au but ; obligé d’abandonner ma tâche dont j’apercevais la fin ; et cela par des métis musulmans, que l’on m’envoyait de Zanzibar, des esclaves au lieu d’hommes.

« Cette douleur, aggravée par les tableaux navrants que j’avais eus sous les yeux, de la cruauté de l’homme envers ses semblables, faisait chez moi de grands ravages et m’avait affaibli outre mesure ; je me sentais mourir sur pied. Je n’exagère rien en disant que chacun de mes pas dans cet air embrasé était une souffrance ; et j’arrivai à Oujiji à l’état de squelette.

« Là, j’appris que des marchandises que j’avais demandées à Zanzibar, et qui valaient environ cinq cents livres sterling, avaient été confiées à un ivrogne, qui, après les avoir gaspillées sur la route, pendant seize mois, avait fini par acheter, avec le reste, de l’ivoire et des esclaves, dont il s’était défait.

« La divination, au moyen du Coran, lui avait, disait-il, appris que j’étais mort. Il avait envoyé, à ce qu’il ajoutait, des esclaves dans le Manyéma pour s’assurer du fait ; les esclaves ayant confirmé la réponse du Coran, il avait écrit au gouverneur de l’Ounyanyembé pour lui demander l’autorisation de vendre, à son profit, le peu d’étoffe que ses débauches n’avaient pas absorbé.

« Il savait bien, cependant, que je n’étais pas mort, et que j’attendais mes valeurs avec impatience ; des gens qui m’avaient vu le lui avaient dit. Mais n’ayant aucune moralité, et se trouvant dans un pays où il n’y a d’autre loi que celle du poignard ou du mousquet, il me dépouilla complètement.

« Je me trouvais donc, au physique, entièrement épuisé, et n’ayant d’autres ressources qu’un peu d’étoffe et de rassade, que j’avais eu la précaution de laisser à Oujiji, en cas de nécessité.

« La perspective d’en être réduit avant peu à tendre la main aux habitants d’Oujiji, me mettait au supplice. Cependant je ne pouvais pas me désespérer. J’avais beaucoup ri autrefois d’un