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pluvieuse. Cette fois, si j’ai fait autrement, c’est parce que j’étais inquiet, et parce que je ne voulais pas vous retenir. »

Rien de tel qu’un ami pour vous rendre courage, surtout dans une contrée pareille.

Pauvre Shaw ! C’était un vilain homme ; mais je n’en étais pas moins triste.

Que de fois j’avais essayé de le remonter ! Hélas ! chez lui il n’y avait pas de ressort ; la vie manquait. Rappelez-vous, lui avais-je dit quand il voulait partir, rappelez-vous que si vous retournez là-bas vous mourrez. Cependant je comptais le revoir.

Le docteur faisait tout pour me distraire. Il me rappelait les dernières nouvelles ; il me parlait des caisses, des lettres, des journaux, qui, d’après l’esclave de ben Habib, m’attendaient à Kouihara. Puis il détaillait les friandises que lui-même y avait en magasin : des masses de confitures, de biscuit, de jambon en terrine, de conserves, de fromage. Avec quelle joie il m’offrirait tout cela ! J’en reprenais du cœur, et lorsque revenait la fièvre, je me représentais moi-même dévorant les jambons, les gelées, le biscuit avec un appétit féroce ; je vivais de ces folles imaginations ; mon délire se repaissait de tout ce qu’on voit sur la table de famille. C’étaient des débauches de pain et de beurre, de pâté, de lard, de marmelade. Dans l’abattement qui suivait l’accès j’y repensais encore. Si loin d’Europe et d’Amérique, c’était un plaisir pour moi de rêver à ces aliments, qui à n’importe quel prix, n’auraient pas été payés. Je m’étonnais que des gens qui mangent de si bonnes choses pussent être malades ou s’ennuyer de la vie. Eussé-je été à la mort, il me semblait qu’une tartine de beurre m’eût fait danser un fandango délirant.

Nous n’étions pas à plaindre ; nous avions de la girafe salée, des langues de zèbre, des patates, du thé, du café, des crêpes, de la bouillie ; mais j’en étais las ; et mon estomac, irrité par la coloquinte, la quinine, l’émétique, l’ipéca, et autres abominations, se révoltait contre les aliments grossiers. Oh ! du pain, criaient mes entrailles ; cinq cents dollars pour un petit pain !

En dépit de la rosée, de la pluie, du brouillard, de la fatigue, de ses pieds déchirés, le docteur mangeait comme un héros. J’admirais la façon dont il entretenait ses facultés digestives ; je m’efforçais de l’imiter, mais sans y parvenir.

Livingstone est un voyageur accompli. Il a sur toutes choses un savoir étendu ; il connaît les rochers, les arbres, les animaux, les terrains, la faune et la flore, et possède en ethnologie un fonds