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Le jour suivant se passa au même endroit ; l’état des pieds du docteur ne nous permettait pas de lever le camp ; mes talons aussi étaient bien malades, et m’avaient obligé à faire de grands trous à mes chaussures afin de pouvoir marcher.

Il fallait néanmoins aller à la chasse. Le zinc de mes bidons avait été fondu et mêlé à mes balles, qui, cette fois étaient plus dures. Je partis, accompagné de notre boucher, et d’un servant d’armes. Ne trouvant rien dans la plaine, je franchis une petite crête, et j’arrivai dans un bassin herbu, où s’éparpillaient des bouquets d’hyphœnés et de mimosas. Neuf girafes tondaient le feuillage de ces derniers. Je me couchai dans l’herbe ; et, profitant des fourmilières pour me dissimuler, j’approchai des bêtes défiantes avant que leurs grands yeux aient pu me découvrir. Mais à cent cinquante mètres environ, l’herbe s’éclaircit et devint courte ; il fallut s’arrêter.

Je repris largement haleine ; je m’essuyai le front et restai assis pendant quelque temps. Bilali et Khamisi, mes noirs compagnons, firent de même. Outre le repos dont nous avions besoin, il fallait calmer l’émotion que nous causait la vue de ce gibier royal.

Je caressai le pesant raïfle, j’en examinai les cartouches ; je me levai et mis à l’épaule. Je visai avec soin, et baissai mon arme pour en régler le point de mire. Je révisai longuement ; et le raïfle s’abaissa de nouveau. Une girafe se détourna ; cette fois le coup partit et alla droit au cœur. La bête chancela, prit le galop, tomba à moins de deux cents pas — un flot de sang coulait de la blessure. Elle fut achevée d’une seconde balle, qu’elle reçut dans la tête.

« Allah ho, akhbar ! » s’écria Khamisi avec enthousiasme. C’était le boucher ; il ne voyait que la viande.

Quant à moi, j’étais plus triste que joyeux ; si j’avais pu rappeler à la vie le noble animal, je l’aurais fait. Quel dommage que d’aussi belles créatures, qui pourraient si bien seconder l’homme dans ses entreprises, n’aient d’autre emploi que celui de bêtes de boucherie ! Les chevaux, les ânes, les mulets ne supportent pas le climat de cette région quel bienfait pour l’Afrique si on pliait la girafe et le zèbre au service de l’explorateur et du négociant ! Avec eux on irait de la côte à Oujiji en un mois ; tandis qu’il m’en a fallu sept pour faire la même route[1].

  1. Nous ne savons pas si l’organisation de la girafe permettrait qu’on fît de cette