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Le Kirangozi voulait me faire prendre au sud-ouest ; je m’y refusais complètement ; et les vétérans de la bande demandaient d’un air sombre si j’avais résolu de les faire mourir de faim. Mais cette ligne nous aurait conduits ou dans le sud-ouest de l’Oufipa, ou dans le nord-ouest de l’Oukonongo ; et, plus que jamais, j’étais décidé à suivre une autre route.

Pas un rayon de soleil ne parut tandis que nous marchions en silence, défilant dans les bois, traversant des jungles, passant des cours d’eau, gagnant la crête des escarpements ou le fond des vallées. Une brume épaisse couvrait la forêt, la pluie nous fouettait avec force, le ciel n’était qu’un amas de vapeurs grises ; mais le docteur avait confiance en moi, et je poursuivais ma route.

À peine arrivés au camp, nos hommes se mirent en quête de nourriture. Un bouquet de singoués, dont les fruits ressemblent à des prunes, fut découvert dans le voisinage ; les champignons abondaient aux alentours ; cela ne fit qu’apaiser leur faim dévorante.

Si la pluie avait été moins forte, j’aurais pu leur procurer de la viande ; mais la fièvre et la fatigue m’empêchaient de remuer dès que la marche était faite ; et les lions, qu’on entendait nuit et jour, effrayaient tellement nos chasseurs, que la promesse de cinq dotis par bête qu’ils nous apporteraient ne put les décider à s’éloigner du camp.

Le lendemain, après avoir fait espérer des vivres à ceux de la bande qui avaient un heureux caractère, et averti les autres de ne pas abuser de ma patience, de peur qu’en la perdant je n’en vinsse aux coups, je repris ma route dans la forêt, suivi de la caravane épuisée qui se traînait à grand’peine.

La position était cruelle ; je plaignais nos pauvres gens, autant et plus qu’ils ne le faisaient eux-mêmes. Je leur montrais de la colère au moment où je les voyais près de défaillir, près de se coucher là, ce qui eût été leur perte ; quant à leur en vouloir, jamais personne n’a été plus éloigné de leur faire injure : j’étais trop fier d’eux tous. Mais la faiblesse eût été homicide ; je ne devais ni écouter les plaintes, ni hésiter. Le seul fait de ma persistance à ne pas dévier de ma route produisait sur leur moral un heureux effet ; et, bien qu’ils eussent la figure crispée et la voix gémissante, ils me suivaient avec une confiance dont j’étais vivement touché.

Nous nous traînâmes ainsi pendant des milles sur une pente herbue, parsemée d’arbres et de massifs, derrière lesquels s’aper-