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premier pas fait dans leur direction, ils montèrent sur les arbres, d’où ils m’aboyèrent leur défi ; puis, me voyant avancer, ils remirent pied à terre en bondissant, et m’auraient poursuivi si je ne m’étais rappelé que mon absence arrêtait la caravane.

Vers midi, nous revîmes notre Magdala, ce grand mont isolé, dont la masse sourcilleuse avait attiré nos regards, lorsque en toute hâte nous suivions la grande chaîne du Rousahoua pour atteindre le Malagarazi. Nous reconnaissions la plaine qui l’entoure et sa beauté mystérieuse. Lors de notre premier passage, nous l’avions vue desséchée et d’un blanc roussâtre, voilé d’une gaze ardente. Elle était maintenant du plus beau vert ; l’herbe et le feuillage s’étaient ranimés. La pluie avait tout fait renaître ; les rivières, autrefois taries, coulaient à pleins bords, entre d’énormes ceintures de grands arbres, versant une ombre épaisse ; ou elles roulaient dans les clairières leurs flots tumultueux, qui se précipitaient vers le Rougoufou.

Bel Oukahouendi, pays enchanteur ! à quoi pourrai-je comparer le charme sauvage de ta nature libre et féconde ? L’Europe n’a rien qui puisse en approcher. Ce n’est que dans la Mingrélie, dans l’Imérithie ou dans l’Inde que j’ai trouvé ces rivières écumantes, ces vallées pittoresques, ces fières collines, ces montagnes ambitieuses, ces vastes forêts aux rangées solennelles de grands arbres, dont les colonnes droites et nues forment ces longues perspectives que vous avez ici. Et quelle puissance, quel luxe de végétation ! Le sol y est si généreux, la nature si séduisante, qu’en dépit des effluves mortels qui s’en échappent, on s’attache à cette région, dont un peuple civilisé chasserait la malaria, et ferait un pays non moins salubre que productif. Accablé par la fièvre, sachant que le poison, caché sous tant de beauté, altérait ma vie dans sa source, usait mon corps et mon intelligence, je regardais cette terre avec amour ; je sentais la tristesse m’envahir à mesure que j’approchais de ses limites, et j’en voulais au destin qui m’entraînait loin d’elle.

Le neuvième jour, à compter du départ du lac, notre Magdala reparut comme un nuage sombre s’élevant au nord-est ; — il me fit reconnaître que nous approchions d’Imréra, et que notre traversée en ligne droite des solitudes de l’Oukahouendi allait être couronnée de succès.

Malgré les efforts d’Asmani et les suggestions des affamés de la caravane, je persistai à ne vouloir d’autre guide que ma boussole, et à ne consulter que ma carte, qui m’inspirait toujours confiance.