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quinze milles de l’endroit où nous étions, ils avaient aperçu notre grand drapeau, dont le bambou de vingt pieds, qui lui servait de hampe, surmontait l’arbre le plus élevé de nos alentours. D’abord ils l’avaient pris pour un oiseau ; mais il y avait parmi eux des vues perçantes qui l’avaient reconnu ; et, guidés par lui, ils s’étaient rendus au camp, où nous les reçûmes comme on accueille des gens perdus lorsqu’on les retrouve.

En les attendant j’avais eu un accès de fièvre, produit par le voisinage de cet ignoble delta, dont la vue seule donnait des nausées.

Le 7 janvier, la caravane tout entière se remit en marche du côté du levant. Pour moi c’était revenir au pays ; cependant je n’étais pas sans regrets. J’avais eu du plaisir, même du bonheur sur ces rives, où j’avais trouvé le compagnon le plus aimable. Il y avait là des scènes enchanteresses, dont la séduction vous envahissait ; là, ni disputes, ni rivalités, ni combats, ni défaites, ni espoir, ni déception ; l’oubli de toute chose, l’insouciance, un repos somnolent, mais d’une extrême douceur.

Toutefois la médaille avait un revers : les accès de fièvre, le manque de livres, de journaux, de femmes de mon sang et de ma race ; là pas d’hôtels, de théâtres, de restaurants ; pas d’huîtres de la rivière d’Est ; ni pâtés, ni gâteaux de sarrazin ; pas une de ces bonnes choses qui flattent un palais délicat. Si bien qu’en me retournant vers ce beau lac, dont les eaux étaient alors paisibles, vers ces montagnes qui bleuissaient de plus en plus à mesure qu’elles s’éloignaient, j’eus le courage de leur dire adieu, ce mot déchirant, sans une larme, sans un soupir.

Sortis du delta, nous nous étions engagés dans une étroite vallée qui se rétrécit jusqu’à n’être plus qu’un ravin où le Loadjéri se précipitait en rugissant, et se ruait avec tant de force que l’air en était ébranlé au point de rendre la respiration difficile. Nous étouffions dans cette gorge, lorsque heureusement le sentier gravit un mamelon, gagna une terrasse, puis une colline, enfin une montagne, où nous fîmes halte. Tandis que nous cherchions un endroit pour y camper, le docteur, sans rien dire, me montra quelque chose ; un silence de mort se fit immédiatement parmi nos hommes. La quinine, que j’avais prise le matin, me donnait le vertige ; mais un mal plus grand était à craindre : nous manquions de vivres ; et bien que tremblant sous le poids du raïfle, je me glissai vers la place que m’indiquait Livingstone.

J’arrivai ainsi au bord d’un ravin, dont un buffle escaladait le