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Le canot du docteur, plus court d’un tiers environ que le mien, prit l’avance ; et le drapeau britannique, emmanché d’un bambou, fila dans l’air comme un rouge météore, nous indiquant la route. Fixée à une hampe beaucoup plus longue, la bannière étoilée, déjà bien plus grande par elle-même, portait infiniment plus haut ses glorieuses couleurs, ce qui fit dire plaisamment à Livingstone, qu’à la première halte il abattrait le plus beau palmier de la côte pour remplacer son bambou, car il n’était pas décent que le pavillon anglais fût tellement plus bas que celui des États-Unis.

Tout à coup éclata le chant des mariniers de Zanzibar, dont le joyeux refrain : Kinan de ré ré kitunga, fut repris en chœur par nos Vouajiji ; et chacun de ramer follement jusqu’à ce que la sueur lui coulât de tous les pores.

Ils se ralentirent ; presque un temps d’arrêt ; puis le chant de la Mrima : O mama, ré dé mi ky, les fit repartir avec extravagance.

C’étaient par ces accès de chants et de courses folles, entremêlés de rires, de grognements sourds, de cris aigus, de souffles prolongés, reproduits par tous les autres, que ceux de nos hommes, qui faisaient partie de l’équipage, exprimaient leur joie du retour et de la sûreté de ia route que nous avions prise.

« Nous échappons aux Vouahha, ha ! ha !
Les Vouavinza n’auront pas nos cadeaux, ho ! ho !
Mionvou ne prendra pas nos todis, hi ! hi !
Et Kiala ne nous verra plus, hu ! hu ! »

s’écriaient-ils en donnant des coups de rame dont les vieux canots frémissaient de l’avant à l’arrière.

Sur la rive nos gens partageaient cette ivresse, et reprenaient en chœur les refrains des canotiers. Quand nous avions à doubler un cap, on les voyait presser le pas pour regagner le terrain que leur avait fait perdre notre traversée d’une baie. Kaloulou, Bilali, Madjouara, les trois enfants, bondissaient au milieu des chèvres, des moutons et des ânes, qui participaient à la gaieté générale. La nature elle-même, fière et sauvage, avec sa coupole bleue s’élevant à l’infini, son immense verdure, ses profondeurs, son lac étincelant, sa sérénité imposante, augmentait notre joie et semblait y prendre part.

Vers dix heures nous nous arrêtâmes chez Kirindo, un vieux chef dont l’affection pour Livingstone et l’animosité contre les Arabes étaient connues de tout le monde. Les Arabes ne s’expli-