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car « l’endroit qu’un homme de bien a foulé de ses pas reste à jamais consacré. »

La nature, d’ailleurs, a favorisé l’amour que devait m’inspirer ce terrain classique. Il n’est pas d’homme, si prosaïque qu’on le suppose, qui, au coucher du soleil, puisse contempler d’Oujiji le tableau qui s’offre à ses regards, sans être remué jusqu’aux moelles. Les couleurs éthérées dont le ciel resplendit, le rose, l’azur, le safrané, le violet vont et viennent avec une rapidité magique ; de larges bandes, des lignes ténues, les cirrhus, les cumulus sont transformés en or bruni et flamboyant. Leur éclat se réfléchit sur la muraille gigantesque d’un noir-bleu qui, à l’occident, borne le Tanganîka ; il révèle ces montagnes dont le sombre voile cachait les merveilles, répand sur elles des teintes du rose le plus doux et les inonde d’un flot de lumière argentée.

De toutes les peuplades de la région que nous venons de décrire, la plus remarquable est celle des Vouanyamouézi. Le type de cette race est un homme de grande taille qui a la peau noire, les jambes longues, une figure de bonne humeur, où s’épanouit un large sourire. Il porte, au milieu des incisives de la mâchoire supérieure un petit trou qu’on lui a fait dans son enfance pour indiquer sa tribu. Ses cheveux, divisés en tire-bouchon, lui tombent sur le cou. Sa nudité presque entière, montre des formes qui serviraient de modèle pour un Apollon noir.

Je l’ai vu souvent à Zanzibar prendre la robe des Arabes et le turban de mérikani, avec non moins d’avantages que pas un homme de la côte ; mais c’est dans son costume national que je me le représente toujours.

Il est né commerçant et voyageur ; c’est l’Yankee de l’Afrique.

Sa tribu a le monopole du transport des marchandises ; et cela depuis les temps les plus reculés. C’est le cheval, le mulet, le chameau la bête de somme que recherchent avidement tous ceux qui veulent aller du Zanguebar dans les régions du centre. Les Arabes ne vont nulle part sans lui ; et sans lui, l’explorateur de race blanche ne pourrait voyager.

On le voit dans tous les ports de la côte où il est généralement en grand nombre, attendant qu’on l’engage pour une longue entreprise. Comme les marins, en pareil cas, il loge et prend sa nourriture dans les auberges à lui destinées ; et comme eux, il est ennemi du repos.

Kaolé, Bagamoyo, Kondouchi, Dar Salaam, Quiloa sont pour lui ce que New-York est pour les matelots anglais. Ceux-ci trouvent