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journerait un instant sur le territoire sacré d’Ousansi. Son père, le sultan du lieu, n’était pas moins ivre que lui, bien qu’il montrât un peu moins de violence.

Sélim venait de me glisser ma carabine à seize coups, munie de toutes ses cartouches, lorsque arriva le docteur. Du ton le plus calme, Livingstone demanda quelle était la cause du rassemblement. Nos guides lui répondirent qu’un Béloutchi, du nom de Khamis, ayant assommé à Oujiji le fils aîné du sultan de Mouzimou, la grande île voisine, parce que ce jeune homme avait jeté un regard indiscret dans son harem, la paix était rompue entre les Vouasansi et les Arabes, et que par suite de cet état de choses, on avait enjoint à nos hommes de partir sur-le-champ. Comme ceux-ci allaient nous en prévenir, le jeune ivrogne avait adressé à l’un d’eux un coup de serpe. Le coup, mal dirigé, avait frappé dans le vide ; mais nos gens avaient vu là une déclaration de guerre, et avaient pris les armes.

Il aurait suffi d’une décharge de nos revolvers pour faire évacuer le terrain ; mais après en avoir conféré entre nous, le docteur pensa qu’il valait mieux s’entendre avec le chef et le calmer par un présent. On ne s’offense pas, dit-il, des folies d’un homme ivre.

Se tournant donc vers la foule, Livingstone releva sa manche, et dit à ces furieux : « Je ne suis ni un Arabe, ni un Mgouana, mais un homme blanc. Les Vouangouana et les Arabes n’ont pas la peau de cette couleur ; nous ne sommes pas de leur race ; et jamais un des vôtres n’a eu à se plaindre d’un homme à peau blanche. »

Ce discours produisit tant d’effet que les deux nobles ivrognes consentirent à s’asseoir et à parler avec calme. Cependant ils en revenaient toujours au fils de Kisésa, sultan de Mouzimou, à ce pauvre Mombo qu’on avait tué brutalement. « Oui, brutalement ! » s’écriaient-ils en montrant par une pantomime expressive comment l’infortuné avait péri.

Livingstone continuait à leur parler avec douceur, et leurs protestations véhémentes contre la cruauté des Arabes avaient fini par s’éteindre, lorsque le vieux chef, repris d’ivresse, se leva brusquement, parcourut la place à grands pas, et se frappant à la jambe d’un coup de lance, cria que les Vouangouana l’avaient blessé.

À ce cri la moitié de l’auditoire prit la fuite ; mais une vieille femme qui avait à la main une grande canne, dont un lézard