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s’éloigner, il est probable que nos gens partageaient mes soupçons.

Au Kabogi, commence le territoire des Vouasansi ; nous comprîmes que nous arrivions chez une tribu nouvelle en entendant une autre formule de salut, celle de mohoto, que nous adressa un groupe de pêcheurs. En pareille circonstance les Vouavira, ainsi que les gens de l’Ouroundi, de l’Ousigé et de l’Ouhha, emploient le mot vouaké.

Nous vîmes bientôt le cap Louvoumba, projection inclinée de la montagne, qui s’avance très-loin dans le lac. Menacés par la tempête, nous nous arrêtâmes près de cette grande pointe, au fond d’une crique paisible ; et traînant la pirogue sur la grève, nous nous y établîmes pour y passer la nuit. Il y avait bien un village en face ; mais les habitants avaient l’air doux et poli ; et rien ne nous fit supposer qu’ils pussent nous être hostiles. Après le déjeuner, j’allai faire ma sieste, ainsi que j’en avais l’habitude, quand rien ne s’y opposait.

J’étais plongé dans un profond sommeil, rêvant de toute autre chose que d’agression, lorsque je m’entendis appeler. « Maître ! maître ! criait-on auprès de moi, levez-vous bien vite, on va se battre. »

Je sautai sur mes revolvers et n’eus qu’à sortir de ma tente pour me trouver au milieu du tumulte. D’un côté un groupe d’indigènes furibonds, de l’autre notre propre bande. Sept ou huit de nos hommes, réfugiés derrière le canot, avaient leurs fusils braqués sur la foule, qui vociférait et grossissait de plus en plus ; mais nulle part je ne voyais Livingstone.

« Où est le docteur ? demandai-je.

— Il est parti pour aller dans la montagne, me dit Sélim.

— Est-ce qu’il est seul ?

— Non, maître ; Souzi et Chumah sont avec lui.

— Prenez deux hommes, dis-je à Bombay, et allez avertir le docteur ; vous le prierez de revenir en toute hâte. »

Comme je finissais de donner cet ordre, je vis Livingstone, avec ses deux noirs, au sommet d’une colline, d’où il regardait complaisamment la scène dont notre petit bassin lui offrait le curieux tableau ; car en dépit de sa gravité, l’affaire était sérioso-comique. Ce dernier élément y était représenté par un jeune homme entièrement nu et complètement ivre, qui, tout en roulant de côté et d’autre, battait le sol avec sa ceinture, et criait et jurait, par ceci et par cela, que pas un Mgouana, pas un Arabe ne sé-