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tre elle pendant deux heures, nous nous retirâmes nu fond d’une anse paisible, masquée par des roseaux.

Toute notre énergie fut d’abord employée à fortifier notre camp d’une palissade épineuse, sachant que nous étions en présence d’un ennemi redoutable ; et ce ne fut qu’après avoir posté les guetteurs que nous songeâmes à préparer le souper. Un coup d’audace aurait pu nous enlever notre pirogue ; il est facile de comprendre dans quelle détresse nous eût mis pareille aventure.

Au point du jour, notre humble déjeuner — du fromage, du café et des galettes de sorgho — fut promptement expédié, et nous reprîmes notre course vers le sud. Nos feux avaient attiré les regards perçants des pêcheurs de Kakumba ; mais les précautions que nous avions prises, et la vigilance de notre guet, avaient déjoué les mauvais desseins des naturels.

À mesure que nous avancions, la rive devenait plus haute. Les lignes ont de ce côté plus de grandeur, plus de hardiesse que sur l’autre bord. Entre les dentelures de la sierra côtière, se montre une falaise de deux mille cinq cents à trois mille pieds d’altitude, derrière laquelle on voit poindre les cimes d’une autre chaîne. Dans les courbes profondes que décrit la Sierra, s’élèvent des monts détachés, la plupart aux sommets arrondis ou tabulaires, aux flancs rapides, et d’un effet extrêmement pittoresque. Des plis du rivage s’avancent des pentes aiguës que j’ai désignées sous le nom de caps ou de pointes, et qui souvent sont formées d’alluvion ; en pareil cas une rivière les traverse. Ces promontoires inclinés, entourés d’un arc montagneux et couverts d’une végétation merveilleuse, offrent un coup d’œil enchanteur.

Des groupes d’élaïs, renfermant des villages aux tons fauves, des files majestueuses de beaux mvoulés, de grandes nappes de sorgho d’une verdure éclatante, de gracieux mimosas, une bande de sable étincelant, où des canots sont placés hors de l’atteinte des vagues, des pêcheurs couchés à l’ombre, tel est le tableau qui se renouvelle sans cesse.

Quand nous étions las de cette opulence des tropiques, nous n’avions qu’à lever les yeux pour varier nos plaisirs ; pour voir les traînées légères des cirrhus effleurer les cimes, chassées qu’elles étaient vers le nord par la brise naissante ; ou pour regarder ces lignes floconneuses se changer en sombres cumulus, pronostiques de tempête, jusqu’au moment ou plus obscurs, plus épais, s’entassant toujours, montagnes sur montagnes, ils nous faisaient chercher un abri.