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d’user de prudence. Pour la Société, prise en masse, il professe le plus profond respect ; il ne se plaint que d’un petit nombre d’individus, qu’il accuse d’avoir dogmatisé contre lui et falsifié ses dépêches et ses cartes, au gré de leurs propres systèmes. Ces membres-là sont peu nombreux, mais trop influents pour rester inaperçus.

Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis mon arrivée à Oujiji, d’heureux jours ; mais il fallait songer à notre course sur le Tanganika. Livingstone allait de mieux en mieux ; ses forces augmentaient graduellement sous l’influence du régime que je lui faisais suivre, avec l’aide de mon cuisinier. Je ne pouvais lui donner aucun des produits que Jupiter et Mercure trouvèrent chez Philémon et Baucis ; pas de cerises, pas de figues, pas de raisin, ni de pommes odorantes ; pas de radis, pas de laitue ; mais nous avions du fromage et du beurre, que je fabriquais moi-même ; des œufs frais, de la volaille, du mouton grillé ou rôti, du poisson sortant du lac, des aubergines, des haricots, des patates, des concombres, de la crème, des arachides, du miel blanc de l’Oukaranga, une sorte de prune juteuse des forêts de l’Oujiji, du vin de palme ; enfin des crêpes et des galettes de maïs en guise de pain.

Nous passions le milieu du jour sous la véranda, causant de nos projets et les discutant, revenant sur les dernières années et anticipant sur l’avenir. Matin et soir nous nous promenions sur la grève, afin de respirer la brise, qui était toujours assez fraîche pour rider la surface de l’eau et pour chasser sur le sable l’onde inquiète.

Le temps était délicieux ; nous étions dans la saison sèche ; et, malgré la pureté du ciel, le thermomètre ne dépassa jamais, à l’ombre, 26°5.

On avait de la grève une scène intéressante. Le marché, dont la place dominait le lac, nous fournissait à la fois une distraction et un sujet d’étude. Il y avait là journellement des spécimens de toutes les tribus voisines : agriculteurs et pâtres de l’Oujiji avec leurs produits et leurs troupeaux ; marchands d’huile de palme de l’Oujiji et de l’Ouroundi, vendant leur huile rougeâtre, et de la consistance du beurre, dans de grands vases contenant vingt et quelques litres ; pêcheurs d’Oukaranda et de Kaolé, voire de l’Ouroundi, avec leur blanquette qu’ils appellent dogara, leurs perches, leurs silures et autres poissons ; marchands de sel des plaines de l’Ouvinza et de l’Ouhha ; marchands d’ivoire de l’Ouvira et de l’Ousohoua ; constructeurs de pirogues de l’Ougoma et