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L’étrangeté du pays, l’étonnement que produit cette nature vierge, les immenses forêts, les montagnes, les cours d’eau et les sources, les grands lacs, les merveilles de la terre, les splendeurs du ciel, tout cela est une manne pour un esprit comme le sien, à la fois éclairé et plein de philanthropie.

Les noirs enfants de cette terre africaine ne lui déplaisent pas ; leur simplicité primitive a pour lui du charme. Il a une foi robuste dans leurs capacités, dans leur avenir ; il découvre chez eux des vertus où d’autres ne verraient que sauvagerie ; et, partout, il s’est appliqué à élever ce peuple qui semblait oublié de Dieu et des hommes.

Il a du reste un fond de gaieté inépuisable. J’ai cru d’abord que c’était l’effet du moment, une crise joyeuse due à mon arrivée ; mais comme cette bonne humeur s’est maintenue jusqu’à la fin, je dois penser qu’elle lui est naturelle. Sa gaieté est sympathique. Son rire est contagieux ; dès qu’il éclate vous l’imitez forcément ; tout chez lui s’en mêle ; il rit de la tête aux pieds. S’il raconte une histoire, un trait plaisant, il le fait de telle façon que vous êtes convaincu de la vérité du fait. Sa figure s’épanouit, elle s’éclaire de toute la finesse que va contenir le récit, et vous êtes sûr d’avance que cela vaut la peine d’être écouté.

Sous l’extérieur usé que je lui avais trouvé d’abord, il y avait un esprit d’une vigueur, d’une vivacité remarquables. L’enveloppe, ridée par la fatigue et par la maladie, plutôt que par les années, recouvrait une âme pleine de jeunesse et d’une sève exubérante. Sa verve ne tarissait pas ; c’étaient chaque jour des bons mots, des anecdotes sans nombre, des histoires de chasse merveilleuses, dans lesquelles ses anciens amis Vardon, Cumming, Webb, Oswell, jouaient les principaux rôles.

Une autre chose dont j’étais singulièrement frappé, c’était de sa prodigieuse mémoire ; il me récitait des poèmes entiers de Byron, de Burns, de Tennyson, de Longfellow, d’autres encore, et après tant d’années passées en Afrique et sans livres !

Peut-être cela tient-il à ce qu’il a presque toujours vécu seul. « L’esprit, dit Zimmerman, un grand observateur de la nature humaine, l’esprit que rien ne détourne se rappelle tout ce qu’il a lu, tout ce qui a charmé son regard, ravi son oreille ; et méditant sur chaque idée que fait naître en lui l’observation, l’expérience ou la parole, acquiert sans cesse de nouvelles connaissances.[1] »

  1. C’en bien en vivant seul, mais dans l’abstraction, non dans la solitude que Li-