Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas le droit d’être vexé ? Avec toute sa connaissance des mystères africains, il ne saurait pas en faire autant. Il est trop simple de cœur pour suivre la méthode de certains géographes, et pour essayer de transformer la nature.

Toutes les critiques que j’ai vues sur ses découvertes sont empreintes de trop d’odium geographicum pour être acceptées avec le respect que l’on doit aux déclarations réfléchies d’hommes expérimentés, ou aux déductions logiques de la science.

Cependant sa douceur reste la même, rien ne le décourage. Nulle adversité, nulle souffrance ne le fait s’apitoyer sur lui et renoncer à son entreprise.

« Ne sentez-vous pas le besoin de repos ? lui demandai-je le lendemain de mon arrivée ; le besoin de retrouver ceux qui vous aiment ? Voilà six ans que vous avez quitté l’Europe. »

Sa réponse le peint tout entier.

« Oui, me dit-il, je serais bien heureux de revoir mon pays, d’embrasser mes enfants ; mais abandonner ma tâche au moment où elle va finir, je ne peux pas. Il ne me faut plus que cinq ou six mois pour rattacher à la branche de Petherick, ou au N’Yanza de Baker, la source que j’ai découverte. À quoi bon partir aujourd’hui pour revenir plus tard achever ce qui peut l’être maintenant ?

— Pourquoi, alors, n’avez-vous pas fini tout de suite, quand vous étiez si près du but ?

— Parce que j’y ai été contraint. Mes hommes ne voulaient plus avancer. Dans le cas où je persisterais à ne pas revenir, ils avaient résolu de soulever le pays et de profiter de la révolte pour me quitter. Ma mort dans ce cas-là était certaine. Ce fut un grand malheur pour moi. J’avais reconnu six cents milles de la ligne de faite, suivi les principales rivières qui se déchargent dans le lit central, et je n’avais plus que cent milles à explorer, quand la défaillance de mes gens m’a brusquement arrêté. D’ailleurs j’étais à court d’étoffe. Je suis revenu ici, faisant sept cents milles pour y prendre les marchandises qui devaient y être, et pour former une nouvelle caravane. Mais je n’ai rien trouvé ; et je suis resté sans ressources, malade d’esprit et de corps ; bien malade, à la porte du tombeau. »

Ici je fais une pause pour demander aux lecteurs comment ils auraient agi en pareille circonstance.

Beaucoup d’entre eux auraient saisi l’occasion de revenir en Angleterre, et l’auraient fait avec joie. L’œuvre accomplie était assez