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Sa droiture et sa bienveillance avaient triomphé des préventions et lui avaient gagné tous les cœurs. J’étais frappé chaque jour du respect dont je le voyais entouré ; les mahométans les plus rigides eux-mêmes ne passaient jamais devant sa porte sans venir le saluer et sans appeler sur lui les bénédictions d’Allah.

Que tout le monde ne lui convienne pas pour compagnon, c’est probable, et ce qui nous arrive à tous. Il est des gens dont l’humeur, trop différente de la nôtre, nous fait un devoir de nous éloigner. J’ai connu des hommes dont la société n’était pour moi qu’un pénible esclavage, et avec lesquels, par respect pour moi-même, je devais rompre dès que j’en trouvais le moyen. Dans tous les cas, s’il en a rencontré, Livingstone n’a gardé nulle amertume pour ces incompatibles, et n’en médit jamais.

On lui reproche de mal supporter le doute et la critique, d’être susceptible à cet égard ; mais c’est le fait d’un esprit fier, d’une nature chaleureuse. Quels sont d’ailleurs ceux qui lui opposent ces doutes irritants ? Des géographes de cabinet ; pas un des voyageurs, aux rudes travaux, dont les noms sont par centaine sur les tables de la Société géographique. Je ne l’ai vu démentir ni par les Burton, ni par les Winwood Reade. Et croyez-vous qu’il soit plaisant, pour un homme d’un pareil labeur, de voir altérer ses cartes et ses observations par le caprice de gens irresponsables, ou par ceux qui les faussent au gré de leurs théories ? Qu’il se trompe dans certaines de ses conclusions, c’est possible ; mais pour le contredire, ceux qui n’ont pas quitté leur fauteuil ont besoin d’attendre de nouvelles données, rapportées des lieux qu’il a visités lui-même.

Pas un érudit, fût-il armé de l’opinion de tous les savants, ne parviendrait à prouver que le Tanganîka est un mythe : quatre voyageurs l’ont vu. Pas un Francis Galton ou un docteur Beke ne prouverait au colonel Grant que le Nil-Victoria n’existe pas. Combien, cependant, le colonel a-t-il suivi de cette rivière ? Pas cinquante milles. Mais l’ayant vue couler au nord et au nord-ouest, il croit sincèrement, et en tout honneur, que c’est le même fleuve qu’il a vu passer en aval de Gondokoro.

Livingstone aussi, après avoir exploré sa rivière sur une étendue de sept degrés, la voyant couler au nord, où, d’après les indigènes, se trouve un grand lac, Livingstone aussi croit fermement que cette rivière est le Nil. Et quand il voit forger une chaîne de montagnes, que l’on développe sur trois degrés de latitude, simplement pour établir qu’il se bat la tête contre un mur, n’a-t-il