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— Je lui dirai ce matin qui m’a envoyé et pourquoi je suis venu ; car il ne s’en doute pas. Je lui demanderai ensuite d’écrire à M. Bennett, de lui apprendre ce qu’il voudra. Je ne viens pas ici pour lui voler ses découvertes. Il me suffit de l’avoir retrouvé. C’est un succès complet ; mais il serait bien plus grand si Livingstone écrivait à M. Bennett, et s’il constatait qu’il m’a vu.

— Pensez-vous qu’il le fasse ?

— Pourquoi pas ? Je suis ici pour l’obliger. Il n’a pas de marchandises, il n’a pas d’hommes ; tout ce que j’ai lui appartient. Si je l’oblige, pourquoi ne m’obligerait-il pas à son tour ? Que dit le poëte ?

« N’espère trouver un ami que dans celui qui en trouve un chez toi. C’est une acquisition ; peu de gens y mettent le prix. Voilà pourquoi sur terre les amis sont si rares. »

J’ai payé le prix en venant de si loin pour lui rendre service. D’ailleurs, autant que j’ai pu le voir, ce n’est pas le misanthrope dont on m’avait parlé. En dépit de la froideur de mon salut et du laconisme de sa réponse, c’est avec une profonde émotion qu’il m’a serré la main. Il ne s’est pas sauvé à mon approche, ainsi qu’on me l’avait fait craindre. Peut-être parce qu’il n’en a pas eu le temps ? Mais cette causerie d’hier ; mais cette chambre ! Si mon arrivée lui avait été désagréable, il ne m’aurait pas reçu comme il l’a fait. S’il avait voulu me fuir, au lieu de m’inviter à demeurer chez lui, il m’aurait prié d’aller à mes affaires et m’aurait tourné le dos. Ma nationalité ne lui fait rien. « Américains et Anglais, m’a-t-il dit, sont le même peuple. Nous parlons la même langue et nous avons les mêmes idées.

— Je suis de votre avis, docteur. Ici, du moins, Anglais et Américain seront frères ; tout ce que je pourrai faire pour vous, demandez-le-moi aussi librement que si j’étais la chair de votre chair, les os de vos os. »

Je m’habillai sans bruit avec l’intention d’aller flâner au bord du lac, en attendant le réveil de mon hôte. J’ouvris ma porte ; elle grinça horriblement. Je gagnai la véranda.

« Comment, docteur, déjà levé ?

— Bonjour, monsieur Stanley ; je suis content de vous voir ; j’espère que vous avez bien dormi ? Quant à moi, je me suis couché tard ; j’ai lu toutes mes lettres. Vous m’avez apporté de bonnes et de mauvaises nouvelles. Mais asseyez-vous. »

Il me fit une place à côté de lui.

« Oui, reprit-il, beaucoup de mes amis sont morts. Tom, l’aîné