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détails. Je ne peux pas répéter ses paroles, j’étais trop ému pour les sténographier. Il avait tant de choses à dire qu’il commençait par la fin, oubliant qu’il avait à rendre compte de cinq ou six années. Mais le récit débordait, s’élargissant toujours, et devenait une merveilleuse histoire.

Les Arabes se levèrent, comprenant, avec une délicatesse dont je leur sus gré, que nous avions besoin d’être seuls. Je leur envoyai Bombay pour leur dire les nouvelles, qui malheureusement les touchaient de trop près. Séid ben Médjid, l’un d’eux, était le père du vaillant Saoud, qui s’était battu à côté de moi à Zimbiso, et que les gens de Mirambo avaient tué le lendemain dans les bois de Vouilyankourou. Tous avaient des intérêts dans l’Ounyanyembé, tous y avaient des amis ; ils devaient être impatients d’apprendre ce qui les concernait.

Je donnai des ordres pour que mes gens fussent approvisionnés ; puis je fis appeler Kéif Halek, et le présentai au docteur en lui disant que c’était l’un des soldats de sa caravane, restée à Kouihara, soldat que j’avais amené pour qu’il remît en mains propres les dépêches dont il était chargé. C’était le fameux sac, daté du 1er  novembre 1870, et qui arrivait trois cent soixante-cinq jours après sa remise au porteur. Combien de temps serait-il resté dans l’Ounyanyembé, si je n’avais pas été envoyé en Afrique ?

Livingstone ouvrit le sac, regarda les lettres qui s’y trouvaient, en prit deux qui étaient de ses enfants, et son visage s’illumina.

Puis il me demanda les nouvelles.

« D’abord vos lettres, docteur ; vous devez être impatient de les lire.

— Ah ! dit-il, j’ai attendu des lettres pendant des années ; j’ai maintenant de la patience ; quelques heures de plus ne sont rien. Dites-moi les nouvelles générales ; que se passe-t-il dans le monde ?

— Vous êtes sans doute au courant de certains faits, vous savez, par exemple, que le canal de Suez est ouvert, et que le transit y est régulier entre l’Europe et l’Asie ?

— J’ignorais qu’il fût achevé. C’est une grande nouvelle. Après ? »

Et me voilà transformé en annuaire du Globe, sans avoir besoin ni d’exagération, ni de remplissage à deux sous la ligne ; le monde a vu tant de choses, et tant de choses surprenantes dans ces dernières années ! Le chemin de fer du Pacifique, Grant président des États-Unis, l’Égypte inondée de savants, la révolte des Cré-