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Je fis donc ce que m’inspiraient la couardise et le faux orgueil : j’approchai d’un pas délibéré, et dis en ôtant mon chapeau :

« Le docteur Livingstone, je présume ?

— Oui, » répondit-il en soulevant sa casquette, et avec un bienveillant sourire.

Nos têtes furent recouvertes, et nos mains se serrèrent.

« Je remercie Dieu, repris-je, de ce qu’il m’a permis de vous rencontrer.

— Je suis heureux, dit-il, d’être ici pour vous recevoir. »

Je me tournai ensuite vers les Arabes, qui m’adressaient leurs yambos, et que le docteur me présenta, chacun par son nom. Puis oubliant la foule, oubliant ceux qui avaient partagé mes périls, je suivis Livingstone.

Il me fit entrer sous sa véranda — simple prolongation de la toiture — et m’invita de la main à prendre le siège dont son expérience du climat d’Afrique lui avait suggéré l’idée : un paillasson posé sur la banquette de terre qui représentait le divan ; une peau de chèvre sur le paillasson ; et pour dossier, une autre peau de chèvre, clouée à la muraille, afin de se préserver du froid contact du pisé. Je protestai contre l’invitation ; mais il ne voulut pas céder ; et il fallut obéir.

Nous étions assis tous les deux. Les Arabes se placèrent à notre gauche. En face de nous plus de mille indigènes se pressaient pour nous voir, et commentaient ce fait bizarre de deux hommes blancs se rencontrant à Oujiji, l’un arrivant du Manyéma, ou du couchant ; l’autre de l’Ounyanyembé, ce qui était venir de l’est.

L’entretien commença. Quelles furent nos paroles ? Je déclare n’en rien savoir. Des questions réciproques, sans aucun doute.

« Quel chemin avez-vous pris ?

— Où avez vous été depuis vos dernières lettres ? »

Oui, ce fut notre début, je me le rappelle ; mais je ne saurais dire ni mes réponses, ni les siennes ; j’étais trop absorbé. Je me surprenais regardant cet homme merveilleux, le regardant fixement, l’étudiant et l’apprenant par cœur. Chacun des poils de sa barbe grise, chacune de ses rides, la pâleur de ses traits, son air fatigué, empreint d’un léger ennui, m’enseignaient ce que j’avais soif de connaître, depuis le jour où l’on m’avait dit de le retrouver. Que de choses dans ces muets témoignages, que d’intérêt dans cette lecture !

Je l’écoutais en même temps. Ah ! si vous aviez pu le voir et l’entendre ! Ses lèvres, qui n’ont jamais menti, me donnaient des