Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’enceinte du village est passée. Chacun de nous est aussi pimpant, aussi heureux que le jour où nous avons quitté Zanzibar, et qui nous paraît vieux d’un siècle : nous avons subi et vu tant de choses !

« En avant, camarades !

— Oui, par Allah ! maître. »

Et les braves s’en vont allègrement, d’un pas rapide ; d’abord sur une colline fourrée de bambous ; ensuite au fond d’un ravin où gronde un petit torrent tumultueux. Puis une autre colline ; puis un sentier au flanc d’une rampe, où nous avançons comme seuls peuvent le faire des gens pressés, dont la conscience est légère.

Encore deux heures de ce pas alerte, et du haut de cet escarpement qui nous cache l’horizon — le guide m’en avertit — nous verrons le lac. Je me retiens pour ne pas crier. Mais attendons, il faut voir d’abord.

Nous pressons le pas. La rude montée est gravie sans reprendre haleine, de peur que cette grande vue ne nous échappe. Le sommet est gagné : ce n’est pas encore là. Toujours plus loin !

Enfin, là-bas, une lueur, un miroitement entre les arbres. En face de nous, la chaîne de l’Oukoma et de l’Oukaramba, une muraille d’un noir lavé d’azur. Puis l’immense nappe d’argent bruni, sous un vaste dais d’un bleu limpide ; pour draperies, de hautes montagnes ; pour crépines, des forêts de palmiers. Hourrah ! Tanganîka ! Toute la bande répète ce cri de joie de l’Anglo-Saxon ; des hourrahs de stentors ; et forêts et collines partagent notre triomphe.

« Est-ce de là que Burton et Speke l’ont découvert ? demandé-je à Bombay.

— Je ne me rappelle pas, maître ; dans tous les cas, c’est aux environs. »

Pauvres éprouvés ! L’un était à demi paralysé, l’autre à peu près aveugle, quand ils arrivèrent.

Et moi ? — J’étais si heureux, qu’aveugle et paralysé tout à fait, je crois qu’à ce moment suprême j’aurais recouvré la vue, pris mon lit et marché.

Mais je me porte à merveille ; je n’ai pas été malade un jour depuis que j’ai quitté l’Ounyanyembé. Que ne donnerait pas John Shaw pour être maintenant à ma place ? Quel est le plus heureux ? Est-ce lui, malgré l’abondance qui l’entoure, bon gîte et bonne table ; ou moi, debout sur ce rocher, regardant le Tanganîka, les yeux ravis, le cœur fier ?