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chèvres avaient été muselées, de peur que leurs bêlements ne vinssent à nous trahir.

Une méprise a failli nous perdre. Au moment où le ciel commençait à blanchir, nous sortîmes de la jungle, et nous nous trouvâmes sur le grand chemin : un sentier battu. Le guide, se croyant hors de l’Ouhha, jeta un cri de joie que tous nos hommes répétèrent. Chacun de presser le pas, d’avancer avec plus de vigueur, quand tout à coup nous nous sommes trouvés aux abords d’un village, dont les habitants se réveillaient.

Le silence fut réclamé et la bande s’arrêta. J’allai rejoindre le guide. Il ne savait comment faire. Pas le temps de réfléchir. J’ordonnai de tuer les chèvres, de les laisser sur la route, d’égorger les poulets ; et je dis au guide de traverser hardiment le village.

La caravane passa rapidement et en silence, avec ordre de se jeter dans la jungle qui se voyait au midi de la route. J’attendis, la carabine au poing, que le dernier homme eut disparu. Prenant alors mes petits servants d’armes, qui étaient restés avec moi, je passai à mon tour. Comme nous sortions du village, un homme sauta hors de sa case, et poussa un cri d’alarme, auquel répondit un bruit de voix ; on aurait dit une dispute. Mais nous fûmes bientôt dans la jungle, nous hâtant de fuir la route, prenant au sud et inclinant à l’ouest.

Je crus un moment que nous étions poursuivis. Je me plaçai derrière un arbre pour arrêter ceux qui allaient paraître ; mais personne n’arriva.

Après une demi-heure de cette marche, nous reprîmes la direction du couchant. Il était grand jour ; nos yeux ravis contemplaient de petites vallées pittoresques, vallées charmantes, séparées les unes des autres, pleines d’arbres à fruit, de fleurs rares, de ruisseaux transparents. L’un de ces ruisselets fut passé ; une eau limpide, dont je pris le doux murmure pour un souhait de bienvenue : la frontière de l’Ouhha était franchie ; nous étions dans l’Oukaranga. Des cris d’une joie folle saluèrent cet événement.

Nous trouvâmes alors un chemin facile, une route unie, que chacun de nous foula d’un pas élastique ; pressant la marche et ne sentant plus de fatigue.

Qu’importent les obstacles que nous avons rencontrés, forêts et montagnes, fourrés épineux, marais profonds, herbes tranchantes ? Qu’importent les rugissements, les cris sinistres, toutes ces clameurs du monde sauvage, dont nous avons été le triste auditoire ?