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été rendu avec ses heureux présages, avec ses sourires pleins de promesses.

Malgré leur fatigue, mes gens ont doublé le pas et marché jusqu’à huit heures.

Nous venions d’atteindre le Rousigi, dont le courant est rapide. Un bouquet de jungle était voisin ; nous y entrâmes pour déjeuner.

Des buffles, des antilopes, parmi lesquelles se trouvaient des élans[1], animaient les bords de la rivière ; mais si forte que fut la tentation, pas un ne fut abattu ; nous n’osions pas tirer. Un coup de feu aurait mis tout le pays en émoi.

Il y avait une heure que nous étions là, heureux de nous reposer, lorsque des hommes, chargés de sel des bords du Malagarazi, ont paru sur l’autre rive. Arrivés à la hauteur de notre cachette, ils nous ont découverts, ont jeté leur sel ; et, poussant des cris d’alarme, ils ont couru à toutes jambes vers des villages qui paraissaient être à une distance de quatre milles.

Mes porteurs ont repris immédiatement leurs charges, ont passé la rivière, et se sont précipités vers une jungle qui était en face de nous. À peine étions-nous dans le fourré, qu’une femme, l’épouse de l’un de nos soldats, une tête faible, jeta des cris perçants. La terreur fut au comble. Ces cris allaient attirer les Vouahha. Il était clair, cette fois, que nous éludions le tribut. En moins d’une demi-heure, des centaines de sauvages hurlants pouvaient envahir la jungle et se livrer à leur vengeance.

La femme criait toujours ; sans nul motif, par affolement. Des porteurs effarés jetèrent leurs ballots et se cachèrent çà et là, « Faites-la taire, ou nous sommes perdus, » vint me dire le guide. Je lui posai la main sur la bouche ; elle n’en cria que plus fort. Le mari, livide de colère, tira son sabre et me demanda la permission de la tuer. Un signe de ma part, elle était morte. Je n’avais plus qu’à user de violence. Je pris mon fouet. « Vous tairez-vous ? — Non ! » Je frappai sévèrement ; même question, même réponse. Ses cris augmentèrent ; nouveau coup. « Taisez-vous donc ! — Non, non, non ! » Je frappai de nouveau. Elle cria plus fort. Les coups tombèrent plus vigoureux, plus pressés. Voyant enfin que je ne céderais pas, la folle s’arrêta ; je l’avais frappée

  1. Canna, bovélaphe oréas : la plus grande des antilopes : six pieds six pouces au garrot, douze de longueur, et jusqu’à deux mille livres pesant, dit Harris. C’est à ces dimensions qu’il doit le nom d’élan du Cap, bien qu’il n’appartienne pas aux plénicornes.(Note du traducteur.)