Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peur de la route, et cherchaient à se dégager ; là était le secret de la révolte. Or le seul moyen, non-seulement de les faire marcher, mais de dissiper leurs craintes, c’était la preuve d’une force irrésistible. Même employée contre eux, mon énergie les rassurait ; il fallait que, dans le cas présent, mon pouvoir fût reconnu, dût l’insubordination être punie de mort.

Loin d’obéir, Asmani leva le bras pour épauler. Son dernier moment était venu, lorsque Mabrouki, l’ancien serviteur de Speke, s’étant glissé derrière lui, fit un bond et lui arracha le mousquet, en s’écriant avec horreur :

« Malheureux ! tu oses viser ton maître ? » Puis se jetant à mes pieds, Mabrouki me supplia de ne pas les punir.

Tout est fini, dit-il ; plus de querelle. Nous irons tous au lac ; et Inch Allah ! nous retrouverons le vieux Mousoungou. Répondez, hommes libres ! N’est-ce pas que vous irez au Tanganika sans vous plaindre ? Dites-le au maître, et d’une seule voix.

— Aï Ouallah ! aï Ouallah ! bana yango. Oui par Allah ! oui par Allah ! mon maître. Il n’y a pas d’autres paroles, dit chacun à voix haute.

— Demande pardon, ou va-t-en, » reprit l’orateur en s’adressant à Asmani, qui s’exécuta de bonne grâce, à la satisfaction de tout le monde.

Il ne me restait plus qu’à pardonner, ce que je fis d’une manière générale, n’exceptant de la mesure qu’Ambari et Bombay, les instigateurs de la révolte.

Si Bombay, en sa qualité de chef, eût réprimé dès l’origine toute expression de mauvaise humeur, l’affaire ne serait pas arrivée. Malheureusement, nous l’avons dit, c’était le plus opposé à la marche, non par couardise, mais parce qu’il s’était fait un dieu de son ventre, et qu’il n’aimait plus que ses aises. Prenant donc une lance, j’en appliquai la hampe sur les épaules du capitaine ; puis sautant sur Ambari, dont la figure railleuse changea subitement d’expression, je les mis tous les deux à la chaîne en les prévenant qu’ils n’en seraient détachés qu’après m’avoir fait leurs excuses. Enfin Asmani et son inséparable furent invités à ne plus faire paraître leur vilain caractère, s’ils ne voulaient pas tâter du genre de mort auquel ils venaient d’échapper.

L’ordre de se mettre en marche fut renouvelé. Chacun reprit son fardeau avec une ardeur étonnante, et fila d’un pas rapide. Bref, l’avant-garde eut bientôt disparu, laissant derrière elle Am-