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consentir, ce qui mit le capitaine de fort mauvaise humeur ; plus que tout autre il préférait les marmitées de viande aux fatigues de la route. Je vis s’allonger sa vilaine figure et pendre sa grosse lèvre inférieure en une moue, qui signifiait clairement : « Faites-les partir vous-même ; ce n’est pas moi qui vous y aiderai. »

Un silence de mauvais augure suivit l’ordre que je donnai au kirangozi de prendre sa trompe et de sonner la marche. Les hommes allèrent chercher leurs ballots d’un air maussade. J’entendis Asmani grommeler entre ses dents qu’il regrettait beaucoup de s’être engagé à nous servir de guide.

Ils partirent néanmoins, bien qu’avec répugnance. Je restai à l’arrière-garde pour activer les traînards. Au bout d’une demi-heure, je vis la caravane au repos, les bagages par terre, et les hommes, réunis par groupes, s’entretenant et gesticulant d’un air irrité.

Enlevant mon fusil des mains de Sélim, j’y glissai deux charges de plomb, j’ajustai mes revolvers et j’allai droit aux mécontents. De leur côté, mes gens avaient pris leurs armes, et d’eux d’entre eux, dont les têtes se voyaient au-dessus d’une fourmilière, avaient le fusil braqué sur ma route. L’un de ces derniers était Asmani ; le second, un appelé Mabrouki, son inséparable ; tous deux avaient été les guides du cheik Ben Nasib.

Je jetai le canon de mon fusil dans le creux de ma main gauche, et, les tenant en joue, je les menaçai de leur faire sauter la cervelle, si, à l’instant même, ils ne venaient pas s’expliquer. Comme il aurait été dangereux de ne pas bouger, ils quittèrent, leur retraite.

Asmani avança d’un pas oblique, en affectant de sourire, mais ayant dans le regard le sombre feu du meurtre. L’autre se glissa derrière moi, et versa de la poudre dans le bassinet de son mousquet. Je me retournai vivement, et lui mis le canon de mon fusil à deux pieds de la figure : l’arme lui tomba des mains ; je le repoussai avec la mienne, et le fis rouler à dix pas.

Regardant alors Asmani, l’homme gigantesque, je lui ordonnai de désarmer. En disant cela, je levai mon fusil et pressai sur la détente ; jamais homme n’a été plus près de la mort.

Il me répugnait de répandre le sang ; je ne demandais certes pas mieux que d’éviter ce malheur ; mais si je n’arrivais pas à mater ce brutal, s’il ne pliait pas à l’instant même, c’en était fait de mon autorité.

Au fond, le départ n’était qu’un prétexte ; mes hommes avaient