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à cet endroit, sommeillait entre des rives sinueuses, traversant les bosquets, pour bientôt en sortir et montrer les feuilles de lotus qui reposaient à sa surface ; la rivière et ses bords, tout cela charmant, pittoresque, frais et paisible comme un rêve d’été, m’engageait à prendre un bain.

J’avisai une place ombreuse, sous un mimosa à large cime, où l’herbe fine et rase, unie comme celle d’une pelouse, allait en pente douce gagner l’onde transparente. J’étais déshabillé, les pieds dans l’eau, les bras tendus, les mains réunies, lorsque au moment où je m’ébranlais pour plonger, un corps énorme, fendant l’onde comme une flèche, s’arrêta juste à l’endroit où j’allais piquer une tête. L’effort se fit en sens inverse ; je bondis en arrière, instinctivement, et je fus sauvé ; c’était un crocodile.

Le monstre s’éloigna d’un air désappointé, me laissant à mes propres félicitations, car je l’avais échappé belle, et au vœu que je formais de ne jamais céder à l’attrait perfide d’une rivière africaine.

Dès que j’eus repris mes vêtements je me détournai de cette onde traîtresse, dont l’aspect m’était devenu répulsif, et j’entrai dans le fourré. Tout en flânant dans la direction du boma, j’aperçus deux indigènes qui regardaient autour d’eux avec un soin particulier. Dans l’état de guerre où se trouvait le pays, la présence inexpliquée d’individus quelconques était toujours une cause d’inquiétude. Je recommandai à mes petits serviteurs de rester immobiles ; je me mis à ramper sous bois, et je parvins à quelques pas des deux indigènes sans avoir été découvert. Mon projet était de me montrer tout à coup, de remarquer l’effet produit par cette brusque apparition, et au moindre signe d’hostilité, de régler l’affaire avec mes deux balles.

Arrivé d’un côté, pendant qu’ils venaient de l’autre, et n’ayant plus entre nous que l’épaisseur d’un buisson, je bondis et nous nous trouvâmes face à face. Les deux hommes restèrent comme pétrifiés ; mais se remettant bien vite :

« Bana, bana, s’écrièrent-ils, est-ce que vous ne nous reconnaissez pas ? C’est nous, les deux Vouakanongo, qui vous accompagnons jusqu’à Mréra.

— Certainement, je vous reconnais ; mais que faites-vous ici ?

— Nous cherchons du miel.

— Très-bien ! Je vous avais pris pour des Rouga-Rouga. »

Mes Vouakanongo éclatèrent de rire ; j’en fis autant ; et, riant toujours, ils continuèrent leurs recherches, ayant à la main un