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à mes hommes de reprendre courage, que le lendemain ils auraient des vivres.

Le jour suivant, dès le matin, le ballot d’étoffes de choix fut rouvert, et je renvoyai Bombay avec quatre manteaux de prix, huit mètres de cotonnade et une masse de compliments. La politique était nécessaire avec un homme aussi revêche que Ma-Manyéra, et trop puissant pour qu’on s’en fît un ennemi. Que devenir s’il lui prenait fantaisie d’imiter Mirambo ?

Mais l’effet de ma munificence ne tarda pas à se produire. Au bout d’une heure je vis arriver une douzaine de villageois portant sur la tête des caisses remplies de sorgho, de riz, de maïs, de haricots, de gesses. Puis apparut le chef lui-même, accompagné de trente mousquets et de vingt lances, suivi d’un présent de volailles, de chèvres, de miel, et d’une quantité de grain suffisante pour nourrir mes hommes pendant quatre jours, bref une valeur grandement équivalente à celle de mon envoi.

J’allai recevoir le chef à la porte du camp, et l’invitai à venir dans ma tente, que j’avais arrangée avec tout le luxe dont je pouvais disposer ; mon tapis de Perse avait été déployé, ma peau d’ours étendue, mon lit recouvert d’un beau drap rouge tout battant neuf.

Ma-Manyéra, un homme robuste et de grande taille, fut prié de s’asseoir, ainsi que les officiers qui l’accompagnaient. Tous me contemplèrent avec un étonnement indicible ; ma figure, mes habits les plongeaient dans une agréable stupéfaction. Ils se regardèrent ensuite les uns les autres, puis éclatèrent de rire en faisant claquer leurs doigts à plusieurs reprises. Maganga, mon interprète — tous ces notables parlaient le kinyamouézi — fut chargé d’exprimer au chef tout le plaisir que j’avais à les voir.

Après quelques minutes dépensées en échanges de politesses, et de leur part en une compétition de rires qui paraissaient inextinguibles, Ma-Manyéra témoigna le désir de voir mes armes. La carabine à seize coups suggéra mille observations flatteuses, et la beauté des revolvers, leur travail qui parut surhumain à tous ces yeux ravis, inspirèrent au chef des éloges d’une telle éloquence que je crus devoir continuer l’exhibition.

Les fusils de gros calibre, tirés avec une forte charge de poudre, firent sauter mes visiteurs en une feinte alarme ; puis chacun reprit son siège avec des rires convulsifs.

Au milieu de l’admiration générale, j’expliquai la différence qu’il y avait entre les blancs et les Arabes. L’explication donnée,