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Peu de temps après nous débouchâmes dans une plaine, où tout d’abord nous aperçûmes deux girafes dont le grand cou dominait un buisson qui leur servait de pâture. Cette vue fut saluée par un cri de joie ; elle nous annonçait que nous approchions du Gombé, rivière ou plutôt noullah près duquel nous devions faire halte, et que nous allions l’atteindre à l’endroit où ces animaux sont nombreux.

Trois heures de marche sur cette terre brûlante nous conduisirent aux champs de Manyéra. La porte du village fut gagnée ; toutefois l’entrée nous fut interdite : la guerre étant partout, les habitants n’admettaient dans leurs murs aucune bande étrangère. On nous envoya dans un khambi situé près d’un chapelet d’étangs dont l’eau était bonne ; mais l’enceinte du camp ne renfermait qu’une demi-douzaine de cases en ruine, très-peu confortables pour des gens fatigués.

Lorsque les huttes furent reconstruites, je donnai de l’étoffe au kirangozi, et je l’envoyai au village pour y faire des achats. Nous avions en perspective neuf jours de marche dans une contrée déserte, il nous fallait nécessairement des provisions. Pour toute réponse, il fut dit à mon homme que la vente des grains était strictement défendue, et il revint les mains vides.

Le cas était sérieux. Envoyer à Kikourou, c’était nous faire rester là plusieurs jours ; mieux valait essayer d’un peu de diplomatie. Ouvrant donc un ballot d’étoffes précieuses, j’en tirai deux choukkas royales que je fis porter au chef par Bombay, avec les compliments du Mousoungou et l’assurance de son amitié. Le chef renvoya le commissionnaire et les choukkas, en faisant dire au Mousoungou de le laisser tranquille.

Pas moyen de fléchir cet homme. Bombay y perdit son éloquence, et mes gens, affamés et d’une humeur exécrable, en furent réduits à se coucher sans souper.

Les discours de Njara, un marchand d’esclaves, parasite de Ben Nasib, me revinrent à la mémoire. « Ah ! bana, bana, me disait-il, les obstacles seront plus forts que vous ; croyez-le, vous ne passerez pas. Les Vouamanyara sont méchants, les Vouakonongo sont très-méchants, les Vouazavira le sont encore plus. Mauvais moment pour voyager quand le pays est en guerre, et la guerre est partout. »

À en juger d’après les conversations qui se tenaient dans le camp autour des feux, il semblait que Njara dût avoir raison. Des projets de désertion en masse étaient discutés. Je dis cependant