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nailles rougies vous déchirent ; le feu est dans vos veines, la soif vous dévore. L’air embrasé est plein de monstres hideux, reptiles connus et inconnus, qui grandissent et se multiplient confusément, toujours plus compliqués, toujours plus affreux, et se transformant sans cesse pour devenir plus horribles. Chaque effort que vous faites pour échapper à cette vue la rend plus effroyable et crée de nouvelles souffrances. Nombreuses, nombreuses sont les heures que j’ai passées gémissant et me débattant sous le poids de cet infernal délire. Oh ! les angoisses, dont cette fièvre d’Afrique vous accable ! Tortures de l’esprit, tortures du corps. Oh ! l’atroce agonie ! Rien ne l’apaise ; les soins les plus patients, les attentions les plus douces, le dévouement le plus humble, tout vous irrite, tout vous affole. Dans ce terrible état, Job lui-même fût entré en fureur.

Celui qui est en proie à cette fièvre s’envisage comme le foyer de toutes les misères. Vient la guérison, il se sent purifié : c’est une délivrance ; il redevient sociable, il est de belle humeur, aimable et prêt à rire. Ce qui la veille était mauvais présage lui est une source de joie ; il regarde ses gens avec affection ; tout lui parait beau ; la nature est souriante, les bois le ravissent, un rien le met en extase. Je parle pour moi-même, qui ai noté avec soin toutes les phases de la crise.

Le 1er octobre, poursuivant notre route au sud-sud-ouest, nous arrivâmes au bord d’un zihouani ou large étang. Près de la rive, sous un arbre magnifique, était un vieux kraal à demi brûlé, qui, en moins d’une heure, fut transformé en un camp Splendide. L’arbre était un figuier-sycomore, le géant des forêts de l’Ounyamouézi. Jamais je n’en ai vu de plus beau : trente-huit pieds de circonférence, et il eût abrité un régiment ; son ombre avait cent vingt pieds de diamètre.

La santé, la vigueur que j’avais alors me permettait d’admirer tout ce qui m’environnait. J’éprouvais un sentiment de bien-être, d’entière satisfaction que je n’avais pas connu à Kouihara, où je me rongeais dans l’inactivité. Je causais avec mes gens comme avec des égaux ; nous parlions ensemble des éventualités du voyage et nous les discutions d’une façon tout amicale.

L’œuvre du jour était finie ; le camp nous donnait une sécurité complète ; chacun tira sa pipe, heureux d’avoir achevé sa tâche, et avec le contentement qui suit tout travail bien exécuté.

Le soleil baissait à l’horizon ; il couvrit le ciel d’or et d’opale, il empourpra la cime des arbres. Une sérénité profonde régna