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nécessaire. Je vous le répète, mister Shaw : si vous retournez là-bas, vous y mourrez.

— Ah ! malheur ! Que je regrette d’être parti ! Je croyais l’Afrique si différente de ce qu’elle est ! Je vous en prie, monsieur, laissez-moi retourner. »

La journée du lendemain fut consacrée à tous les préparatifs qu’exigeait le départ de Shaw. Une forte litière fut construite ; quatre hommes vigoureux furent loués à Kigandou pour porter le malade. Je fis faire du pain, remplir de thé un grand bidon, et rôtir une gigue de chevreau pour qu’il eût à manger pendant la route.

Dans la soirée — nous la passâmes ensemble, — il prit un accordéon que je lui avais donné à Zanzibar, et joua différents airs. Un pitoyable instrument que cet accordéon d’une dizaine de dollars ; cependant, les chants simples et familiers qui s’en exhalèrent ce soir-là me firent l’effet de mélodies célestes ; et quand, pour finir, mon pauvre camarade joua l’air de : Home, Sweet home ! (Pays natal, doux pays !) il n’avait pas achevé, que nos cœurs émus s’élançaient l’un vers l’autre.

Le 27 nous étions tous levés de bonne heure. Il y avait dans nos mouvements une force inaccoutumée. Nous avions en perspective une marche très-longue ; mais nous laissions derrière nous les malades, les souffreteux ; Mabrak Sélim restait confié aux soins d’un docteur indigène, qui s’engageait à le traiter en échange de quelques mètres d’étoffe, payés d’avance. Je ne prenais avec moi que les hommes sains et robustes, ceux qui pouvaient marcher vite et longtemps.

La trompe sonna enfin le départ. Shaw dans sa litière fut pris par ses porteurs. Mes hommes formèrent deux rangs, les drapeaux furent déployés ; et, entre cette double haie, sous les plis de ces bannières qu’il ne devait plus revoir, Shaw fut emporté vers le nord. Puis je me tournai vers le sud, allant d’un pas vif et léger, comme un homme qui a un poids de moins sur les épaules.

Nous gravîmes une pente hérissée d’énormes blocs de syénite, dont les masses dominaient un fouillis d’arbres nains. La scène qui, du sommet de cette côte, frappa nos regards n’avait rien de nouveau pour nous. C’était la forêt sans borne ; de longues crêtes boisées, moutonnant à perte de vue, s’élevant au-dessus les unes des autres dans une atmosphère chaude et vibrante, qui, limpide dans le voisinage, bleuissait au loin et devenait impénétrable. Des bois, des bois, des bois, toujours des bois ; rameaux